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LE TAILLEUR DE PIERRE

pour que ça partît à la fin du repas des noces, et que chacun à une lieue de là, sur les montagnes et dans la vallée, dît en l’entendant éclater : « Voilà le coup de noce du tailleur de pierre. » Je l’avais remplie d’un demi-quintal de poudre bien bourrée avec de la sciure de pierre par-dessus. De peur de malheur j’y avais attaché une mèche qui brûlait lentement et que j’avais recouverte de gravier, de poussière et d’herbe sèche, pour que les pieds des bêtes ne la dérangeassent pas. Il n’y avait que moi qui connusse la touffe d’orties où le bout de la mèche était enroulé en sortant de terre près de la carrière, au bord du chemin.

Le matin de la veille des noces, j’allai encore à la carrière pour ne pas me casser les bras, comme on dit ; je donnai quelques coups de pic et de levier dans mes pierres, je visitai ma mèche, je préparai mon amadou avec une traînée de poudre arrivant jusqu’au chemin, et je me dis en remontant : « Tu battras le briquet, la poudre prendra feu, l’amadou s’allumera, il communiquera lentement le feu à la mèche ; tu auras le temps, sans te presser, de remonter jusqu’aux Huttes, tu prendras un verre pour boire à la santé des parents en embrassant Denise, et le coup partira. » C’était mon idée, monsieur.

» Cela fait, je descendis, tout courant, au village de Saint-Point pour acheter six bouteilles de vin blanc, afin de faire boire le lendemain à la noce. Je m’amusai un peu avec l’un, avec l’autre, avec le cabaretier, avec le sonneur, avec le curé et sa servante. Chacun m’arrêtait, me faisant compliment sur le bonheur que j’avais d’épouser une si brave et une si belle veuve ; car elle était bien aimée et connue, quoiqu’on ne la vît que par hasard à l’église, aux grandes fêtes, et jamais aux danses. On l’appelait, comme je vous ai dit, la sauvage des Huttes ; mais on ne l’estimait que plus. On m’offrait un verre de vin partout, je ne pouvais pas refuser sans être malhonnête ; je bus