Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 32.djvu/67

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
66
TOUSSAINT LOUVERTURE.

Tant qu’ils n’ont pas Toussaint, ils n’ont rien ; pas d’effroi :
Le corps n’est rien sans l’âme, et l’âme ici c’est moi !
Je médite contre eux des retours, des désastres
Aussi grands que la mer, aussi hauts que les astres !
Ils y périront tous, ces mangeurs de café,
Ainsi que le boa par sa proie étouffé.
Mes moyens sont trop noirs pour que je te les dise,
J’ai besoin que ta main et mon but me conduise !
Il faut être invisible et présent en tout lieu,
Autant qu’un pauvre noir peut ressembler à Dieu.
Des marches des Français, il faut transpercer l’ombre,
Connaître leurs desseins, leur manœuvre, leur nombre ;
M’assurer, par mes yeux, si de nos faux amis
Nul ne pactise à l’ombre avec nos ennemis ;
Il faut changer d’habit, de métier, de langage :
Je sais, quand je le veux, transformer mon visage,
Je sais, sans placer même un bandeau sur mes yeux,
Feindre d’avoir perdu la lumière des cieux :
Ma prunelle, à mon gré, rentrant sous ma paupière,
N’est plus qu’un globe blanc où s’éteint la lumière ;
Sans être reconnu par le plus clairvoyant
Je puis tendre a l’ami la main du mendiant,
Et, prenant une voix qui ressemble à mon rôle,
Bélisaire des noirs, leur arracher l’obole.
Pour éclairer ma marche et soutenir mes pas,
Il me faut un enfant : c’est toi qui le seras !
Va quitter ces habits pour la pagne grossière
Que déchira le temps, que souille la poussière ;
Fais-toi semblable en tout à cet enfant flétri
Que sur les grands chemins la misère a maigri,
À qui l’on jette un pain que dans ses pleurs il trempe ;
Que ton beau cou fléchisse et que ton pied nu rampe.
Moi, je vais au moyen d’herbes au suc rongeur
Des sillons de ma peau raviver la rougeur,