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ACTE II, SCÈNE II

Bien plus qu’à sa beauté, je le sens à ma haine !
Si j’écoutais mon cœur !… Mais pour sauver Toussaint
Faisons taire à présent mon amour dans mon sein !

Elle se jette aux pieds de madame Leclerc.

MADAME LECLERC.

Oh ! la jolie enfant ! Qu’avez-vous, ma petite ?

ADRIENNE, faisant semblant de sangloter.

On arrache mon père à ce toit qu’il habite…
Aveugle et mendiant où conduire ses pas ?
C’est le seul coin de terre à nous deux ici-bas.
Cette place était libre et pour nous assez bonne ;
Hélas ! nous n’y cachions le soleil à personne !
En glanant le maïs sur les sillons d’autrui,
J’y nourrissais mon père et j’y voyais pour lui.
Mais si l’on fait tomber le mur où je l’appuie,
Qui le garantira du vent et de la pluie ?
Où le retrouverai-je en revenant le soir ?

MADAME LECLERC, à part.

Vraiment, elle me touche avec son désespoir.

À Adrienne.

Quoi ! votre père n’a que cet asile au monde ?

À sa suite.

Quelle perle, pourtant, dans ce fumier immonde !

ADRIENNE, à Toussaint qu’elle fait approcher en le conduisant
comme un aveugle.

Rendons grâces, mon père, à la bonté des blancs !
Laissez-moi devant eux guider vos pas tremblants…
Si vous pouviez la voir !

MADAME LECLERC, à part.

Si vous pouviez la voir ! Mon Dieu ! qu’elle est gentille !

À Toussaint.

C’est sans doute l’amour de sa pauvre famille.

TOUSSAINT.

Hélas ! c’est le roseau que Dieu laisse à ma main !
Je n’ai qu’elle ici-bas et les bords du chemin ;