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CICÉRON.

peuple à la liberté. Le peuple, moitié vengé, moitié attendri, les applaudit et les laissa seuls monter au Capitole. Antoine, lieutenant de César, et qui avait lui-même conspiré autrefois contre sa vie, maître des troupes, fut chargé par le sénat de préserver Rome de l’anarchie. Il suivit avec habileté tous les mouvements successifs de l’émotion du peuple : le premier jour ami douteux des conjurés, le second protecteur armé du sénat, le troisième portant le deuil de César, le quatrième vengeur de son cadavre en déployant du haut de la tribune aux harangues sa robe ensanglantée et percée de coups aux yeux émus de la multitude ; bientôt arbitre et maître de tout, tenant Rome dans l’indécision entre la passion de la liberté et les regrets de la servitude, et forçant Brutus et ses amis de s’éloigner de la ville qu’ils avaient délivrée, de peur d’y être immolés eux-mêmes par le parti de César, qui avait repris vigueur dans son sang. Tel fut ce crime. Il rappela à la tyrannie par la pitié ; juste expiation de ceux qui croient faire justice et qui font horreur par l’assassinat.

Antoine s’était habilement associé, pour rester l’arbitre de Rome, un autre lieutenant de César, son rival dans l’armée, nommé Lépide, qui commandait l’armée prête à partir pour l’Espagne. Ils grossirent leurs forces de tous les vétérans disséminés dans les provinces, et laissèrent une apparence de souveraineté au sénat. Pendant cette espèce d’interrègne entre la république et la dictature qui suivit le meurtre de César, Brutus et Cassius se retirèrent à Lanuvium, petite ville de la campagne de Rome. Cicéron laissa éclater sa joie de la constitution rétablie. Il pressa les conjurés de saisir le moment prêt et échapper à ceux qui hésitent, et à restaurer l’antique liberté. Brutus, plus philosophe et plus orateur que politique, semblait avoir dépensé toute son énergie dans le coup qui avait abattu le tyran. Il écrivait, raturait, limait, soumettait à l’examen de Cicé-