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MADAME DE SÉVIGNÉ.

cauld y vint ; on ne parla plus que de vous, et de la raison que j’avais d’être touchée… Les réveils de la nuit ont été noirs, et le matin je n’étais pas avancée d’un pas pour le repos de mon esprit. L’après-dînée se passa chez madame de la Troche et à l’Arsenal. Le soir, je reçus votre lettre, qui me remit dans mes premiers transports… »

Et cette douleur se nourrit et se renouvelle de tout ce qui rappelle la fille à la mère. Un mois après, sa maison, l’escalier, la chambre où l’adieu s’est consommé, rouvrent par tous ses sens toutes ses blessures :

« Je vous assure, ma chère enfant, lui écrit-elle alors, que je songe à vous continuellement, et que je sens tous les jours ce que vous me dîtes une fois : qu’il ne fallait pas appuyer sur certaines pensées : si l’on ne glissait pas dessus, on serait toujours en larmes, c’est-à-dire moi. Il n’y a lieu dans cette maison qui ne me blesse le cœur. Toute votre chambre me tue ; j’y ai fait mettre un paravent tout au milieu pour rompre la vue ; une fenêtre de ce degré par où je vous vis monter dans le carrosse de d’Hacqueville, et par où je vous rappelai, me fait peur à moi-même, quand je pense combien alors j’étais capable de me jeter par la fenêtre, car je suis folle quelquefois. Ce cabinet où je vous embrassais sans savoir ce que je faisais ; ces Capucins où j’allais entendre la messe ; ces larmes qui tombaient de mes yeux à terre comme si c’eût été de l’eau qu’on eût répandue ; Sainte-Marie, madame de La Fayette, mon retour dans cette maison, votre appartement, la nuit, le lendemain ; et votre première lettre, et toutes les autres, et encore tous les jours ; et tous les entretiens de ceux qui entrent dans mes sentiments, ce pauvre d’Hacqueville est le premier ; je n’oublierai jamais la pitié qu’il eut de moi ! Voila donc où j’en reviens, il faut glisser sur tout cela, et se bien garder de s’abandonner à ses pensées et aux mouvements de son cœur : j’aime mieux m’occuper de la vie