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MADAME DE SÉVIGNÉ.

une petite Trappe ; je veux prier Dieu, y faire mille réflexions : j’ai résolu d’y jeûner beaucoup pour toutes sortes de raisons ; de marcher pour tout le temps que j’ai été dans ma chambre, et surtout de m’y ennuyer pour l’amour de Dieu. Mais ce que je ferai beaucoup mieux que tout cela, c’est de penser à vous, ma fille ; je n’ai point encore cessé depuis que je suis arrivée, et, ne pouvant contenir tous mes sentiments, je me suis mise à vous écrire au bout de cette petite allée sombre que vous aimez, assise sur ce siége de mousse où je vous ai vue quelquefois couchée. Mais, mon Dieu, où ne vous ai-je point vue ici ? et de quelle façon toutes ces pensées me traversent-elles le cœur ! Il n’y a point d’endroit, point de lieu, ni dans la maison, ni dans l’église, ni dans le pays, ni dans le jardin, où je ne vous aie vue… Je vous vois, vous m’êtes présente, je pense et repense à vous, ma tête et mon esprit se creusent ; mais j’ai beau tourner, j’ai beau chercher cette chère enfant que j’aime avec tant de passion, elle est à deux cents lieues de moi, je ne l’ai plus. Sur cela, je pleure sans pouvoir m’en empêcher. Ma bonne, voilà. qui est bien faible ; pour moi, je ne sais pas être forte contre ma tendresse, si juste et si naturelle. L’état où ce lieu m’a mise est une chose incroyable. Je vous prie de ne pas parler de ma faiblesse ; mais vous devez aimer et respecter mes larmes, qui viennent d’un cœur tout à vous.

» Si j’avais autant pleuré mes péchés que j’ai pleuré pour vous depuis que je suis ici, je serais très-bien disposée pour faire mes Pâques et mon jubilé. J’ai passé ici le temps que j’avais résolu, et de la manière dont je l’avais prévu. C’est une chose étrange qu’une imagination vive qui représente toutes choses comme si elles étaient encore ; sur cela on songe au présent, et quand on a le cœur comme je l’ai, on se meurt. Je ne sais où me sauver de vous, notre maison de Paris m’assomme encore tous les jours, et Livry