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MADAME DE SÉVIGNÉ.

tristesse extraordinaires : tous les arbres que vous avez vus petits sont devenus grands et droits, et beaux en perfection. Ils sont élevés, et font une ombre agréable ; ils ont quarante ou cinquante pieds de hauteur. Il y a un petit air d’amour maternel dans ce détail : songez que je les ai tous plantés, et que je les ai vus, comme disait M. de Montbazon, pas plus grands que cela (M. de Montbazon avait l’habitude de dire cela de ses propres enfants). C’est ici une solitude faite exprès pour y bien rêver : j’y pense à vous à tout moment ; je vous regrette, je vous souhaite. Votre santé, vos affaires, votre éloignement, que pensez vous que tout cela fasse entre chien et loup ? J’ai ces vers dans la tête :

Sous quel astre cruel l’avez-vous mis au jour,
L’objet infortuné d’une si tendre amour ?

» Il faut regarder la volonté de Dieu bien fixement, pour envisager sans désespoir tout ce que je vois, dont assurément je ne vous entretiendrai pas… Je retrouvai, l’autre jour, une lettre de vous, où vous m’appeliez ma bonne maman ; vous aviez dix ans, vous étiez à Sainte-Marie, et vous me contiez la culbute de madame Amelot, qui de la salle se trouva dans la cave. Il y a déjà du bon style à cette lettre. J’en ai trouvé mille autres, qu’on écrivait alors à mademoiselle de Sévigné ; toutes les rencontres sont bien heureuses pour me faire souvenir de vous, car sans cela (ajoute-t-elle en souriant tristement) où en prendrais-je l’idée ?

» Nous faisons une vie si réglée, poursuit-elle, qu’il n’est pas possible de se mal porter : on se lève a huit heures, très-souvent je vais jusqu’à neuf heures, que la messe sonne, prendre la fraîcheur des bois. Après la messe on s’habille, on se dit bonjour, on retourne cueillir des fleurs d’oranger, on dîne, ou lit où l’on travaille jusqu’à