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FÉNELON.

la plus haute science et la plus haute éloquence de l’Église. Il se fit le disciple de Bossuet, au lieu de se faire le favori de M. de Harlay, renonçant à la faveur pour s’attacher à la gloire. M. de Harlay, jaloux de Bossuet, ressentit cette négligence du jeune prêtre.

« Monsieur l’abbé, lui dit-il un jour en se plaignant de son peu d’empressement à lui complaire, vous voulez être oublié, vous le serez ! »

Il fut oublié, en effet, dans la distribution des faveurs de l’Église. Son oncle, l’évêque de Sarlat, fut obligé, pour soutenir son neveu à Paris, de lui résigner le petit prieuré de Carénac, dépendant de son évêché. Ce revenu de trois mille francs, suffisant à peine aux nécessités d’une vie ascétique, fut la seule fortune de Fénelon jusqu’à l’âge de quarante-deux ans. Il passa quelques semaines dans ce prieuré champêtre ; il distribua aux indigents de la contrée tout ce qu’il put retrancher de ce modique revenu à ses besoins les plus restreints. Il y composa des vers où le sentiment de la solitude qui porte à Dieu se mêle au sentiment de Dieu qui remplit la solitude. Comme la plupart des grands esprits de tous les siècles, Solon, César, Cicéron, Montesquieu, Jean-Jacques Rousseau, Chateaubriand, il commença par chanter avant de penser. La musique des vers précède, dans l’homme, l’éloquence, parce que l’émotion de l’âme précède en lui la vigueur du raisonnement. Les vers de Fénelon avaient la mollesse et la grâce de la jeunesse ; ils n’avaient pas la virilité de l’âme véritablement poétique qui surmonte du premier coup les difficultés du rhythme, et qui crée du même jet le sentiment, le mot et le vers. Il le sentit lui-même ; il laissa, après quelques essais, les vers à Racine, ce Virgile français ; il se résigna à la prose, instrument moins laborieux, moins parfait, mais plus complaisant de la pensée, et il ne cessa pas d’être le plus poétique génie de son temps.