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FÉNELON.

par les choses au Tibur de Rome. Ce furent les plus heureuses années de Fénelon ; il jouissait de ses amis et de lui-même. Son éclat, renfermé dans cette retraite, ne lui attirait encore ni la renommée ni l’envie du monde. Il avait placé sa gloire dans la gloire de Bossuet, son ambition dans l’amitié de ces hommes supérieurs. Son propre génie lui était d’autant plus doux qu’il était encore une confidence. Il était loin de soupçonner que les foudres sortiraient bientôt pour lui de ce cénacle où il ne respirait que la paix, la modestie et le bonheur.

Les guerres de religion étaient à peine amorties en France. La révocation de l’édit de Nantes venait de frapper la liberté de conscience en rompant le traité de paix entre les religions, promulgué par Henri IV. Trois cent mille familles étaient expulsées, dépouillées, privées de leurs enfants, des milliers d’autres familles dans les provinces protestantes étaient contraintes ; moitié par la persuasion commandée, moitié par la violence imposée, à désavouer la religion de leurs pères et à professer la religion du roi. Bossuet approuvait ces croisades intérieures contre la Réforme. Le but légitimait à ses yeux et sanctifiait même les moyens. Des missionnaires, appuyés de troupes et de geôliers, parcouraient les provinces, imposant la foi, convertissant les faibles, fortifiant les douteux, sévissant contre les obstinés. Les parties du royaume où le protestantisme avait laissé le plus de racines n’étaient qu’un vaste champ de bataille après la victoire, où des commissions ecclésiastiques ambulantes, armées à la fois de la parole et du glaive, ramenaient tout parle zèle, par la séduction ou par la terreur a l’unité de foi. C’était l’œuvre que Louis XIV vieilli et fanatisé de lui-même s’était imposée pour s’assurer le ciel en offrant à l’Église une immense dépouille d’âmes contraintes ou persuadées par son autorité.