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FÉNELON.

la conscience des peuples, mais par des ministres plus insinuants et plus humains.

Bossuet jeta les yeux sur Fénelon. Nul homme n’était plus propre à relever des âmes abattues sous la crainte, à faire paraître léger et volontaire le joug imposé, à porter pour ainsi dire l’amnistie des consciences dans les provinces où la persécution et la prédication s’étaient jusque-là. décréditées l’une par l’autre. Fénelon, présenté pour la première fois par Bossuet à Louis XIV, ne demanda pour toute grâce au roi que de désarmer la religion de toute force coercitive, de laisser respirer les protestants de la terreur qui glaçait les âmes, d’éloigner les troupes des provinces qu’il allait visiter, et de laisser la parole, la charité et la grâce opérer seules sur les convictions qu’il voulait éclairer, et non dompter. Louis XIV, qui touchait au but, ne disputa pas sur les moyens. Il fut charmé de l’extérieur, de la modestie, de l’éloquence naturelle du jeune prêtre ; il lui confia les missions du Poitou. Fénelon s’adjoignit pour cette œuvre ses amis l’abbé de Langeron et l’abbé Fleury, animés de son propre esprit. Sa présence, sa mansuétude, sa prédication dans ces contrées, pacifièrent les esprits. Il obtint des abjurations libres. Il ne trompa ni le roi ni Bossuet sur la sincérité des abjurations contraintes qui avaient, avant lui, imposé une foi politique à ces provinces. Il revendiqua avec courage les droits et la dignité des convictions, dans sa correspondance avec la cour. Accusé, par les agents de la persécution, d’une indulgence qui laissait couver la liberté des croyances sous ses pas, « Si l’on veut, écrivit-il à Bossuet, leur faire abjurer le christianisme et leur faire adopter le Coran, il n’y a qu’à leur renvoyer les dragons. » Un tel langage, tenu à Bossuet lui-même par un jeune ministre du clergé qui aspirait aux dignités de son ordre, devançait de deux siècles son temps.

« Continuez à faire venir des blés, écrit-il ailleurs aux