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MADAME DE SÉVIGNÉ.

pour défendre la croix presque abattue sous ses yeux. Il fallait concilier la déférence pour le pape avec sa politique ; il ne se présentait qu’un subterfuge, indigne à la fois du politique et du chrétien ; l’embarras de conscience le lui fit adopter. Tout en continuant de déclarer amitié aux Turcs, il autorisa le duc de La Feuillade, son favori, à lever un corps de gentilshommes volontaires, qui n’auraient d’autre drapeau que celui de la croix et qui iraient combattre contre les Ottomans. La noblesse française se jeta avec l’impétuosité de son courage dans cette expédition d’aventuriers désavoués mais protégés. Les d’Aubusson, parents du héros de Rhodes, les Langeron, les Beauvau, les Fénelon, les Créqui, les La Rochejacquelein, les Xaintrailles, les Saint-Paul, les Gramont, les Château-Thierry, les Chamborant, s’enrôlèrent sous cette croisade. Turenne, ami et admirateur dé madame de Sévigné, conseilla à son fils de commencer sa carrière militaire par cette campagne, sur laquelle la religion et la distance jetteraient le prestige qui couvre toujours les choses d’Orient. Le duc de La Rochefoucauld donna à madame de Sévigné le même conseil. Le jeune comte de Saint-Paul, fils charmant de la belle duchesse de Longueville, et dont le duc de La Rochefoucauld passait pour être le père, levait un escadron de cent cinquante jeunes gentilshommes impatients d’exploits. Le baron de Sévigné partit avec le comte de Saint-Paul. Les Français y montrèrent une valeur qui honora leur nom, mais avec une jactance, une insubordination et une impatience qui perdirent la ville. Ils périrent presque tous dans des sorties contre une armée de Turcs. Les Vénitiens leur reprochèrent leur fougue, ils reprochèrent aux Vénitiens leur prudence ; décimés par le sabre des Ottomans, ils laissèrent la plage de Candie couverte des cadavres de leurs chefs ; les survivants se rembarquèrent avant la chute de la place, laissant l’île de Crète déplorer le funeste secours