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MADAME DE SÉVIGNÉ.

sa mère sonnait enfin. Le comte de Grignan, lieutenant général du roi en Languedoc, gentilhomme illustre de province, âgé de près de quarante ans, déjà deux fois veuf, d’un esprit plus solide qu’étend, d’une figure plus terne qu’attrayante, d’un caractère plus ambitieux que séduisant, épousa, le 29 janvier 1669, mademoiselle de Sévigné. La mère, en choisissant M. de Grignan de préférence à un gendre plus jeune, dont le cœur n’aurait pas porté déjà la trace de deux unions et le deuil de deux épouses, n’eut évidemment pour but que de conserver sa fille à Paris. Elle se flattait que M. de Grignan, courtisan estimé du roi, changerait sa place en Languedoc contre une place de la cour dont il avait la promesse. Mademoiselle de Sévigné céda par obéissance et par lassitude d’attendre plus que par inclination. Sa tiédeur naturelle n’avait pas besoin d’amour dans le mariage ; sa mère l’avait lassée d’adoration ; tout fut convenance, calcul et froide raison dans son consentement à ce mariage. On voit avec quelle ruse d’instinct naturel madame de Sévigné lui en dérobe et s’en dérobe à elle-même toutes les disparités dans ses lettres à ses amis.

« Il faut que je vous apprenne que la plus jolie fille de France épouse, non le plus joli garçon, mais un des plus honnêtes hommes du royaume. Toutes ses femmes sont mortes pour faire place à ma fille, et même son père et son fils, par une bonté extraordinaire, en sorte qu’étant plus riche qu’il n’a jamais été, et se trouvant d’ailleurs, et par sa naissance, et par ses mariages, et par ses bonnes qualités, tel que nous pouvions le souhaiter, nous ne le marchandons point comme on a coutume de le faire, et nous nous en fions bien aux deux familles qui ont passé avant nous. Le public paraît content, c’est beaucoup… Il a du bien, de la qualité, une charge, de l’estime, de la considération dans le monde : que faut-il davan-