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jocelyn.

La cascade les jette à l’abîme ondoyant ;
Leurs jambes et leurs bras plongent en tournoyant ;
Tout leur corps sur le roc, pilé par l’avalanche,
N’est plus qu’un point obscur dans sa poussière blanche.
Le proscrit, qui les voit tomber, encor debout,
Sent sa poitrine enfin saignant d’un double coup :
Son sang, dont ce regard suspendait seul la perte,
S’échappe en deux ruisseaux de sa chemise ouverte ;
Il tente un pas, son pied ne peut le soutenir,
Il va rouler ; mon bras a su le retenir ;
Je le traîne expirant sur l’herbe du rivage.
Le bonheur et la mort luttent sur son visage ;
Il baise avec amour son fusil triomphant ;
Sa voix rend la parole et l’âme à son enfant.
Nous étanchons son sang, nous lavons sa blessure ;
Puis, formant à la hâte un brancard de verdure,
L’enfant portant les pieds, moi le front, nous marchons,
Et dans ma grotte enfin, mourant, nous le couchons.