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troisième époque.

Pour me voir de plus loin aller ou reparaître,
Elle sautait d’un bond au bord de ma fenêtre,
Et, les deux pieds collés contre les froids carreaux,
Regardait tout le jour à travers les vitraux ;
Ou, parcourant ma chambre, elle y cherchait encore
La trace, l’ombre au moins du maître qu’elle adore,
Le dernier vêtement dont je m’étais couvert,
Ma plume, mon manteau, mon livre encore ouvert ;
Et, l’oreille dressée au vent pour mieux m’entendre,
Se couchant à côté, passait l’heure à m’attendre ;
Dès que sur l’escalier mon pas retentissait,
Le fidèle animal à mon bruit s’élançait,
Se jetait sur mes pieds comme sur une proie,
M’enfermait en courant dans des cercles de joie,
Me suivait dans la chambre au pied de mon fauteuil ;
Paraissant endormi, me surveillait de l’œil.
Là, le son de ma voix, la plainte inachevée,
Ma respiration plus ou moins élevée,
Le moindre mouvement du pied sur le tapis,
Le clignement des yeux sur le livre assoupis,
Le froissement léger du doigt entre la page,
Une ombre, un vague éclair passant sur mon visage,
Semblaient dans son sommeil passer et rejaillir,
D’un contre-coup soudain la faisaient tressaillir ;
Ma joie ou ma tristesse en son œil retracée
N’était qu’un seul rayon d’une double pensée.
Elle mourut, encor son bel œil sur le mien.
Que de pleurs je versai ! Je l’aimais tant ! Eh bien,
Quoique ma plume tremble, en glissant sur la page,
De ternir dans mon cœur l’amitié par l’image,
Que de l’âme à l’instinct toute comparaison
Profane la nature et mente à la raison,
Ce charmant souvenir de mon heureuse enfance
Me revient dans le cœur quand je songe à Laurence.