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préface.

pour l’imagination, de la poésie du pinceau. Vous l’avouerai-je, monsieur ? c’est le plus beau, le plus complet triomphe auquel j’osasse aspirer dans les rêves intimes de ma première jeunesse. Voir un jour peindre ou graver ma pensée écrite ; voir les créations de mon imagination prendre un corps sous le burin poétique, et se vulgariser ainsi pour les yeux mêmes de ceux qui ne lisent pas ; avoir une créature de mon âme en circulation dans le monde des sens, une gravure d’un de mes poëmes tapissant les murs nus de quelque solitaire à la campagne : mes pensées les plus ambitieuses de gloire littéraire n’ont jamais été au delà. En effet, c’est là toute la gloire. Quand on a obtenu cela, que veut-on de plus ? Écrire, c’est chercher à créer ; quand l’imagination est devenue image, la pensée est devenue réalité ; on a créé, et on se repose.

Je me souviendrai toujours des premières gravures de poëmes qui frappèrent mes regards d’enfant. C’étaient Paul et Virginie, Atala, René. La gravure n’était pas parvenue alors à ce degré de perfection qui la fait admirer aujourd’hui indépendamment du sujet. Ces images, tirées de ces charmants poëmes, étaient grossières et coloriées avec toute la rudesse des couleurs les plus heurtées. C’était de la poésie badigeonnée, mais c’était de la poésie ! Je ne me lassais pas de la contempler sur les murs du vieux curé de mon village et dans les salles d’auberges de campagne, où les colporteurs avaient popularisé Bernardin et Chateaubriand. Je crois que le peu de poésie qui est entré dans mon âme à cet âge, y est entré par là. Je rêvais souvent et longtemps devant ces scènes d’amour, de solitude, de sainteté, et je me disais en moi-même : Si je pouvais avoir seulement un jour un petit livre de moi de quelques pages qui restât sur les tablettes de la bibliothèque de famille, et dont une scène ou deux fussent attachées aux murailles pour la