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cinquième époque.

12 août 1795.

Précédé de la sœur, que le pâtre accompagne,
Ce matin, faible et seul, j’ai gravi la montagne,
M’arrêtant, hésitant, revenant sur mes pas,
Comme un homme qui doute, ou qui marche au trépas.
Arrivé sur les bords de la gorge profonde,
Dont trois jours de soleil avaient abaissé l’onde,
J’ai trouvé deux sapins l’un à l’autre liés
Par le bout sur un bord et sur l’autre appuyés ;
Pont que les deux bergers avaient jeté sans doute
Pour que la pauvre sœur y pût frayer sa route.
Ils venaient de passer, et j’entendais leurs voix.
Par des ravins franchis dans mes jeux tant de fois,
Je devançai leurs pas qui cherchaient une issue,
Et je fus à la grotte avant qu’ils l’eussent vue ;
Mais à la fois brûlant, tremblant d’y pénétrer,
La force de mon cœur me faillit pour entrer.
Écartant d’une main le feuillage du hêtre,
Je me pendis de l’autre au roc de la fenêtre,
Et, le cœur écrasé, sans souffle, l’œil hagard,
Je sondai jusqu’au fond la grotte d’un regard.
Je la vis ; dans mon sein mon cœur cria : Laurence !
Mais ma lèvre étouffa ce cri dans son silence.
Elle était à genoux sur ses talons pliés,
Ses membres fléchissants à la roche appuyés,
Son front pâle et pensif, que la douleur incline,
Comme écrasé du poids, penché sur sa poitrine ;