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jocelyn.

Je sentis que mon bras se condamnait lui-même
À retourner le fer dans le seul cœur qui m’aime ;
Je cherchai par surprise à fuir, à déplier
Son bras qu’à mon épaule un nœud semblait lier ;
Mais, comme un nœud coulant que chaque effort resserre,
Plus je me dégageais, plus j’étais sous sa serre.
Enfin, d’un bond soudain j’échappai de ses bras :
« Non, lui dis-je à genoux, non, ne me touche pas,
» Non, non, je ne suis plus celui que tu crois être ;
» Je suis… — N’achève pas !… s’écria-t-elle. — Un prêtre !
» J’ai trahi par faiblesse ou bien par dévoûment
» Mon enfant, mon amour, mon bonheur, mon serment ;
» J’ai, pour offrir au ciel mon affreux sacrifice,
» Bu ton sang et le mien dans mon premier calice :
» En trahissant ta foi j’ai trahi plus qu’un Dieu !
» Fuis-moi, ne me dis pas même un suprême adieu ;
» N’abaisse pas tes yeux sur un tel misérable ;
» Foule-moi sous ton pas comme un ver sur le sable ;
» En passant sur mon corps écrase-moi du pié ;
» Maudis-moi sans remords, franchis-moi sans pitié ;
» Couvre de ton mépris ma mémoire éclipsée,
» Et n’y détourne pas seulement ta pensée ! »
Et le front dans la poudre, avili, prosterné,
Jusques à ses genoux mon corps s’était traîné,
Pour qu’en passant sur moi, son pied, dans sa colère,
Pût écraser ma vie et mon front contre terre.
Mais elle, pas à pas, fuyant ce front rampant
Comme le pied recule à l’aspect du serpent,
Les mains avec horreur ouvertes, dépliées,
Les prunelles de plomb fixes, pétrifiées,
Ne jeta qu’un seul cri, comme si tout son cœur,
Écrasé d’un seul coup, eût éclaté d’horreur :
Terrible et dernier cri de l’âme évanouie,
Écho du coup qui fait écrouler une vie,