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jocelyn.

Valneige, 19 mai 1803.

Hélas ! depuis six mois j’avais cessé d’écrire :
Mon âme, chaque jour, de mille morts expire.
Depuis que la misère et les contagions
Montent pour décimer ces hautes régions,
Qu’importait à mes yeux ce miroir de ma vie ?
Mes yeux sont tout trempés des larmes que j’essuie ;
Le loisir du matin ne va pas jusqu’au soir ;
Je n’ai ni le désir ni l’heure de m’asseoir ;
Le chevet des mourants est ma place assidue :
À leur longue agonie un peu de paix rendue,
Le signe de la croix tenu devant leurs yeux,
Un serrement de main, un geste vers les cieux,
Les saints honneurs rendus à leur pauvre suaire,
C’est le seul bien, hélas ! que je puisse leur faire.
Grâce à moi, sous leur chaume ils ne meurent pas seuls ;
L’un après l’autre ils ont tous mes draps pour linceuls,
Et le sol, que mes mains ont creusé pour leur bière,
Ouvre à chacun son lit d’argile au cimetière.


Depuis deux ou trois jours cependant, le fléau
Commence à s’amortir dans mon pauvre hameau.
Hélas ! il était temps ! Que de toits sans fumées !
Que de champs sans semence et de portes fermées !
À la ville, au contraire, il s’accroît tous les jours.
Les pauvres qu’il choisit y meurent sans secours ;