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NOTES.

contentai pendant longtemps des applaudissements que quelques amis dévoués dépensaient assez généreusement en ma faveur. Mais, à la fin du deuxième acte, un malencontreux acteur manqua son entrée ; le public s’impatienta, et moi, perdant la tête et croyant déjà entendre une bordée outrageuse de sifflets, je sortis précipitamment, pour me dérober à ce que, dans mon innocence, je n’étais pas encore habitué à regarder comme un simple inconvénient, et j’allai me renfermer chez moi plein d’angoisses, et dévorant d’abondantes larmes. J’étais là depuis une heure, lorsque je m’entendis appeler par mon nom. C’était un de mes bons amis qui m’avait le plus servi à la représentation de ma pièce, et qui, voyant ma cause désespérée, accourait me faire accepter des consolations, et m’offrir de venir passer quelques jours avec lui dans un château en Dauphiné, qu’habitait alors sa famille. Je me décidai sur-le-champ, et, sans prévenir ma mère autrement que par un petit mot d’écrit, nous montâmes en voiture, et, quelques secondes après, nous courions sur la route de Lyon à Grenoble.

» La route fut d’abord assez triste ; peu à peu ces idées se dissipèrent : je me voyais libre sous un beau ciel, avec un beau paysage autour de moi, bien que toutefois il ne m’apparût qu’à la clarté d’une belle lune ; en sorte que lorsque nous arrivâmes à Voiron, petite ville à quatre lieues environ de Grenoble, j’avais déjà entièrement oublié ce qui venait de se passer.

» Le lendemain de très-grand matin je fus éveillé par un grand bruit de chevaux qui piaffaient dans la cour du château. C’étaient quelques-uns de nos anciens camarades de collége retirés à Voiron, qui, instruits par mon hôte de notre arrivée, me ménageaient la singulière surprise d’une excursion dans les montagnes qui séparent le Dauphiné de la Savoie. Je me hâtai de me lever, et, tout compte fait, nous nous trouvâmes rassemblés au nombre de dix, bien dispos, pleins d’ardeur, et prêts à tenter la conquête du monde. Six étaient à cheval ; les quatre autres étaient admirablement placés dans une calèche, et paraissaient les rois de la fête. Nous traversâmes Voiron à la grande surprise de la foule, qui nous regardait passer sans comprendre rien à cette ovation inaccoutumée. J’admirai au galop sa place, au milieu de laquelle s’étend une verte pelouse où jouent de beaux enfants, et entourée de gracieuses allées d’arbres, sous le berceau desquels s’agite à la nuit tombante la foule des promeneurs ; j’admirai sa fontaine tapissée de mousse, et gardée à ses quatre angles par quatre naïades en pierre blanche, qui découvrent leurs urnes pour lais-