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notes.

les bois ou pleure sur la montagne ; le murmure de la rivière monte jusqu’à vous, et se mêle à l’harmonie universelle ; les torrents s’épanchent avec de grandes clameurs ; puis toutes ces voix répétées, condensées, prolongées par les échos, meurent et renaissent éternellement. Il y a là toute une vie d’impressions austères et passionnées. Un orage s’élève-t-il, ce n’est plus simplement une brutale dévastation, c’est un spectacle des plus grandioses dont vous prenez votre part. Le tonnerre éclate : il se fait un chœur funèbre dans les échos, dont le dernier bruit se prolonge et s’éteint, semblable au cri d’un homme tombant dans un précipice. Les rochers eux-mêmes ne sont plus des masses inertes et sans vie : à voir passer sur leurs fronts les nuages qui se croisent avec violence, vous diriez ces chefs puissants qui, du haut d’une éminence, assistent aux batailles où se jouent leurs empires, et qui en règlent les mouvements. Les cascades élèvent la voix, les cavernes et les forêts laissent échapper des hurlements profonds, le vent souffle sur les eaux : si, au milieu de la tempête, vous jetez votre voix, elle résonne dans la vallée comme un vase métallique. Tout semble, nous l’avons dit déjà, parler et répondre : tantôt c’est le gouffre des avalanches que l’on entend, tantôt c’est la forêt, tantôt l’ouragan de la montagne, tantôt le clapotement de la rivière.

» J’avais l’intention de rester plusieurs jours dans les montagnes : aussi, quoique nous fussions loin encore de l’ouverture de la chasse, j’endossai les vêtements commodes du chasseur, et un fusil pour tirer aux oiseaux de proie. Il était presque nuit lorsque j’arrivai à la Buissière, petit village à six lieues de Grenoble. Je me préparai à y passer la nuit, et à faire mon ascension au Granier. Je remplis donc mon carnier de provisions, et ma gourde du meilleur vin que je pus trouver ; puis je m’enquis du soin d’avoir un guide. À mon grand étonnement, il me fut impossible d’en trouver un, soit que les habitants du village ne connussent pas la montagne, ce qui est fort possible, car, comme je l’ai dit, le Dauphiné est peu exploré, et plus inconnu encore de ceux qui l’habitent que des rares visiteurs que le hasard y conduit ; soit qu’il n’y eût pas d’individus assez pauvres pour faire ce métier. J’étais décidé à m’aventurer tout seul à travers les rochers et les précipices, lorsqu’un bûcheron, qui devait aller le lendemain couper du bois dans les forêts de la Chartreuse, ayant su mon embarras, me fit proposer de faire la route ensemble : il va sans dire que j’acceptai avec joie.

» Le lendemain matin à quatre heures, nous étions sur pied.