Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 7.djvu/17

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baissa la tête, flaira son maître, et, l’empoignant avec les dents par la ceinture de cuir qu’il avait autour du corps, il partit au galop, et l’emporta jusqu’à ses tentes. En arrivant et en jetant son maître sur le sable aux pieds de sa femme et de ses enfants, le cheval expira de fatigue ; toute la tribu l’a pleuré, les poëtes l’ont chanté, et son nom est constamment dans la bouche des Arabes de Jéricho. »

Nous n’avons nous-mêmes aucune idée du degré d’intelligence et d’attachement auquel l’habitude de vivre avec la famille, d’être caressé par les enfants, nourri par les femmes, réprimandé ou encouragé par la voix du maître, peut élever l’instinct du cheval arabe. L’animal est, par sa race même, plus intelligent et plus apprivoisé que les races de nos climats ; il en est de même de tous les animaux en Arabie. La nature ou le ciel leur ont donné plus d’instinct, plus de fraternité pour l’homme que chez nous. Ils se souviennent mieux des jours d’Éden, où ils étaient encore soumis volontairement à la domination du roi de la nature. J’ai vu moi-même fréquemment, en Syrie, des oiseaux pris le matin par des enfants, et parfaitement apprivoisés le soir, n’ayant plus besoin ni de cage ni de fil aux pattes pour les retenir avec la famille qui les adopte, mais volant libres sur les orangers et les mûriers du jardin, et revenant à la voix se percher d’eux-mêmes sur le doigt des enfants ou sur la tête des jeunes filles.

Le cheval du scheik de Jéricho, que j’achetai et que je montai, me connaissait, au bout de peu de jours, pour son maître : il ne voulait plus se laisser monter par un autre, et franchissait toute la caravane pour venir à ma voix, bien