Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 7.djvu/222

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Après ces différentes visites, nous avons quitté le quartier arménien, séparé d’un autre quartier par une porte qui se ferme tous les soirs. J’ai trouvé une rue plus large et plus belle ; elle est formée par les palais des principaux agas de Damas ; c’est la noblesse du pays. Les façades de ces palais sur la rue ressemblent à de longues murailles de prisons ou d’hospices, murs de boue grise ; peu ou point de fenêtres ; de temps en temps une grande porte ouverte sur une cour ; un grand nombre d’écuyers, de serviteurs, d’esclaves noirs, sont couchés à l’ombre de la porte. J’ai visité deux de ces agas, amis de M. Baudin ; l’intérieur de leur palais est admirable : une cour vaste, ornée de superbes jets d’eau, et plantée d’arbres qui les ombragent ; des salons plus beaux et plus richement décorés encore que ceux des Arméniens. Plusieurs de ces salons ont coûté jusqu’à cent mille piastres de décoration ; l’Europe n’a rien de plus magnifique, tout est dans le style arabe ; quelques-uns de ces palais ont huit ou dix salons de ce genre. Les agas de Damas sont en général des descendants ou des fils de pacha qui ont employé à la décoration de leurs demeures les trésors acquis par leurs pères ; c’est le népotisme de Rome sous une autre forme ; ils sont nombreux ; ils occupent les principaux emplois de la ville sous les pachas envoyés par le Grand Seigneur. Ils ont de vastes possessions territoriales dans les villages qui environnent Damas. Leur luxe consiste en palais, en jardins, en chevaux et en femmes ; à un signe du pacha, leurs têtes tombent, et ces fortunes, ces palais, ces jardins, ces femmes, ces chevaux, passent à quelque nouveau favori du sort. Une législation pareille invite naturellement à jouir et à se résigner : volupté et fatalisme sont les deux résultats nécessaires du despotisme oriental.