Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 7.djvu/251

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gions inférieures, sous nos pieds, roulant, comme des feuilles mortes, des masses de neige et des volées de pierres, et même d’assez gros blocs de roche, de même que si la bouche d’un canon les avait lancés ; deux de nos chevaux en furent atteints, et roulèrent avec nos bagages dans le précipice. Aucun de nous ne fut frappé ; mes jeunes étalons arabes qu’on menait en main semblaient pétrifiés de terreur ; ils s’arrêtaient court, levaient les naseaux, et jetaient, non pas des hennissements, mais des cris gutturaux semblables à des râlements humains ; nous marchions serrés, pour nous surveiller et nous assister en cas d’accident. La nuit devenait de plus en plus noire, et la neige qui battait nos yeux nous enlevait le peu de lumière qui pouvait nous guider encore. Les tourbillons de vent remplissaient toute la gorge où nous étions de neige tournoyante qui s’élevait en colonnes jusqu’au ciel, et retombait en nappes immenses comme l’écume des grandes vagues sur les écueils ; il y avait des moments où il était impossible de respirer ; nos guides s’arrêtaient à chaque instant, hésitaient, et tiraient des coups de fusil pour nous diriger ; mais le vent furieux ne laissait rien retentir, et la détonation de nos armes ressemblait au léger claquement d’un fouet. Cependant, à mesure que nous nous enfoncions davantage dans cette haute gorge des dernières croupes du Liban, nous entendions avec effroi un mugissement grave, continu, sourd, qui croissait de moment en moment, et formait comme la basse de ce concert horrible des éléments déchaînés ; nous ne savions à quoi l’attribuer ; il semblait qu’une partie de la montagne s’écroulait, et roulait en torrents de rochers. Les nuages épais et rasant le sol nous cachaient tout ; nous ne savions où nous étions, lorsque nous vîmes passer tout à coup, à côté de nous, des