Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 7.djvu/331

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tent des pipes et du café. Si ces flots ont entendu les premiers vagissements d’Homère, j’aime à les entendre doucement murmurer entre les racines des platanes ; j’en porte à mes lèvres, j’en lave mon front brûlant : puisse renaître, pour le monde d’Occident, l’homme qui doit faire le poëme de son histoire, de ses rêves et de son ciel ! un poëme pareil est le sépulcre des temps écoulés, où l’avenir vient vénérer les traditions mortes, et éterniser par son culte les grands actes et les grandes pensées de l’humanité ; celui qui le construit grave son nom au pied de la statue qu’il élève à l’homme, et il vit dans toutes les images dont il a rempli le monde des idées.

Ce soir, on m’a mené chez un vieillard qui vit seul avec deux servantes grecques, dans une petite maison sur le quai de Smyrne ; l’escalier, le vestibule et les chambres sont pleins de débris de sculpture, de plans d’Athènes en relief, et de fragments de marbre et de porphyre : c’est M. Fauvel, notre ancien consul en Grèce. Chassé d’Athènes, qui était devenue sa patrie, et dont il avait, comme un fils, balayé toute sa vie la poussière pour rendre sa statue au monde, il vit maintenant pauvre et inconnu à Smyrne ; il a emporté là ses dieux, et leur rend son culte de toutes les heures. M. de Chateaubriand l’a vu, dans sa jeunesse, heureux au milieu des admirables ruines du Parthénon ; je le voyais vieux et exilé, et meurtri de l’ingratitude des hommes, mais ferme et gai dans le malheur, et plein de cette philosophie naturelle qui fait supporter patiemment l’infortune à ceux qui ont leur fortune dans leur cœur : je passai une heure d’oubli délicieuse à écouter ce charmant vieillard.