Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 7.djvu/338

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silencieux de l’astre de la nuit, et s’évanouir à mesure que la lune s’enfonce derrière les sommets d’autres montagnes ; c’est une belle page de plus du poëme homérique ; c’est la fin de toute histoire et de tout poëme : des tombeaux inconnus, des ruines sans nom certain, une terre nue et sombre, éclairée confusément par des astres immortels ; — et de nouveaux spectateurs passant indifférents devant ces rivages, et répétant pour la millième fois l’épitaphe de toute chose : « Ci-gisent un empire, une ville, un peuple, des héros. » Dieu seul est grand ! et la pensée qui le cherche et qui l’adore est seule impérissable.

Je n’éprouve nul désir d’aller visiter de plus près et de jour les restes douteux des ruines de Troie ; j’aime mieux cette apparition nocturne qui permet à la pensée de repeupler ces déserts, et ne s’éclaire que du pâle flambeau de la lune et de la poésie d’Homère : d’ailleurs que m’importent Troie, et ses dieux et ses héros ? cette page du monde héroïque est tournée pour jamais.

Le vent de terre commence à se lever ; nous en profitons pour nous approcher toujours de plus en plus des Dardanelles. Déjà plusieurs grands navires, qui cherchent comme nous cette entrée difficile, s’approchent de nous ; leurs grandes voiles, grises comme les ailes d’oiseaux de nuit, glissent en silence entre notre brick et Ténédos ; je descends à l’entre-pont, et je m’endors.