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25 mai 1833.


Ce soir, par un clair de lune splendide qui se réverbérait sur la mer de Marmara et jusque sur les lignes violettes des neiges éternelles du mont Olympe, je me suis assis seul sous les cyprès de l’échelle des Morts, ces cyprès qui ombragent les innombrables tombeaux des musulmans, et qui descendent des hauteurs de Péra jusqu’aux bords de la mer ; ils sont entrecoupés de quelques sentiers plus ou moins rapides, qui montent du port de Constantinople à la mosquée des derviches tourneurs. Personne n’y passait à cette heure, e1 l’on se serait cru à cent lieues d’une grande ville, si les mille bruits du soir, apportés par le vent, n’étaient venus mourir dans les rameaux frémissants des cyprès. Tous ces bruits, affaiblis déjà par l’heure avancée ; chants de matelots sur les navires, coups de rames des caïques dans les eaux, sons des instruments sauvages des Bulgares, tambours des casernes et des arsenaux ; voix de femmes qui chantent, pour endormir leurs enfants, à leurs fenêtres grillées ; longs murmures des rues populeuses et des bazars de Galata ; de temps en temps le cri des muezzins du haut des minarets, ou un coup de canon, signal de la retraite, qui partait de la flotte mouillée à l’entrée du Bosphore, et venait, répercuté par les mosquées sonores et par les collines, s’engouffrer dans le bassin de la Corne-d’Or, et retentir sous les saules paisibles des eaux douces d’Europe ; tous ces bruits, dis-je, se fondaient par instants dans un seul bour-