Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 8.djvu/177

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divisé ses guerriers en compagnies ou détachements, commandés chacun par un de ses parents.

Les Bédouins aiment beaucoup à entendre des histoires après souper. En voici une que l’émir nous raconta ; elle peint bien l’attachement extrême qu’ils ont pour leurs chevaux, et l’amour-propre qu’ils montrent pour leurs qualités.

Un homme de sa tribu, nommé Giabal, avait une jument très-renommée. Hassad-Pacha, alors vizir de Damas, lui en fit faire, à plusieurs reprises, toutes les offres imaginables, mais inutilement ; car un Bédouin aime autant son cheval que sa femme. Le pacha fit des menaces, qui n’eurent pas plus de succès. Alors un autre Bédouin, nommé Giafar, étant venu le trouver, lui demanda ce qu’il lui donnerait s’il amenait la jument de Giabal. « Je remplirai d’or ton sac à orge, » répondit Hassad, qui regardait comme un affront de n’avoir pas réussi. La chose ayant fait du bruit, Giabal attachait sa jument la nuit par le pied avec un anneau de fer, dont la chaîne passait dans sa tente, étant arrêtée par un piquet fiché en terre, sous le feutre qui servait de lit à lui et à sa femme. À minuit, Giafar pénètre dans la tente en rampant, et, se glissant entre Giabal et sa femme, il pousse doucement tantôt l’un, tantôt l’autre : le mari se croyait poussé par sa femme, la femme par le mari, et chacun faisait place. Alors Giafar, avec un couteau bien affilé, fait un trou au feutre, retire le piquet, détache la jument, monte dessus, et, prenant la lance de Giabal, l’en pique légèrement, en disant : « C’est moi, Giafar, qui ai pris ta belle jument ; je t’avertis à temps. » Et il part. Gia-