Page:Lamartine - Le tailleur de pierres de Saint-Point, ed Lecou, Furne, Pagnerre, 1851.djvu/260

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meilleur ! Ce fut plus fort que moi. Une nuit que je ne pouvais pas absolument m’endormir et que les tempes me battaient sur l’oreiller comme les ailes d’un oiseau qui veut briser sa cage, je me relevai en sursaut, je m’habillai sans me donner le temps de penser à ceci ou à cela ; je pris mon sac sur mon dos et je me mis à marcher à travers la campagne et la nuit sombre sans sentir la terre sous mes pieds, comme on dit que les fantômes marchent. J’étais tout en sueur ; mais ma sueur était froide comme si on m’avait jeté un seau d’eau sur la tête. Avant que le jour se fît là-bas sur le mont Blanc, j’étais déjà au pied des montagnes. Je montai par les sentiers et par les bois de sapins sans souffler seulement et sans m’asseoir sur aucune pierre. Il me semblait que je monterais toujours, toujours, sans jamais atteindre. Pourtant, quand le soleil en plein vint me réchauffer un peu et que le grand jour me rendit un peu de raison, je me dis : Où est-ce que tu vas, et qu’est-ce que tu vas faire ? Sais-tu seulement si ta mère vit ? si ton frère, heureux avec Denise, ne te verra pas avec jalousie à la maison, sachant que Denise t’avait donné son cœur avant que ta mère lui donnât sa main ? Sais-tu si tu ne troubleras pas le