Page:Lamartine - Le tailleur de pierres de Saint-Point, ed Lecou, Furne, Pagnerre, 1851.djvu/75

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de s’alimenter et de se répandre, à moins de s’éteindre ou de tarir.

Lui. — C’est vrai, monsieur ; il y a quelqu’un qui respire, qui remue, qui coule, qui brûle, qui converse à mon insu constamment avec moi. Je le sens bien, je l’entends bien, même quelquefois je lui réponds de cœur. Mais c’est une parole sans mots, qu’on comprend sans avoir été à l’école et qu’on lit sans avoir appris à lire dans les livres. C’est sourd et confus comme le bruit de l’eau profonde qu’on entend d’ici sans la voir dans le puits de l’abîme, et pourtant ça tient compagnie et ça console comme une femme ou comme un ami, la nuit, au coin de son foyer. Sans cette conversation, est-ce que je ne serais pas mort depuis tant d’années que ?…

Il s’arrêta et soupira en portant involontairement un regard vers un de ces monticules verts qui m’avaient frappé en entrant dans l’enclos. Je vis qu’il y avait une pensée sous l’herbe et qu’il craignait d’y toucher devant moi. Je ne voulus pas faire violence à son mystère dès le premier jour je n’eus pas l’air d’avoir remarqué son interruption et surpris son soupir.