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GROSSESSE

incoercibles. Ces accidents, joints an défaut d’appétit , apportent des troubles dans la nutrition : les femmes maigrissent, leurs yeux se cernent, le teint devient bistre surtout au front, aux raies du nez, sur les lèvres ; c’est ce qu’on a nommé le masque. Mais cette fausse chlorose est momentanée, car, au plus tard, après le troisième mois, les fonctions digestives devenant meilleures, les vomissements cessant de se produire, l’appétit renaissant, il se fait, au contraire, une tendance à un état pléthorique, sorte de congestion qui retentit sur le cœur sous forme de battements précipités, sur les poumons sous forme d’oppression, sur le cerveau sous forme do maux de tête ou de vertiges. On voit alors se produire des bouffissures de la face et du cou, des gonflements des membres inférieurs. Et la femme, sous l’empire de cet état d’éréthisme de son économie, jouit souvent d’une santé qu’elle n’a jamais connue.

Dans cette description rapide, nous avons, chemin faisant, énuméré la plupart des signes diagnostiques de la grossesse. Il en est d’autres, cependant, plus spéciaux et de première importance : tels sont les bruits du cœur du fœtus, le bruit de souffle utérin, la perception des mouvements fœtaux, la constatation des parties fœtales. Ces signes, dits de certitude, permettent seuls d’affirmer l’existence d’une grossesse. D r Donon.

H. Droit civil. — La grossesse est la manifestation extérieure du phénomène physiologique de la conception ; la plupart des notions de droit que comporte cet état ont été indiquées au mot Conception. Cependant, de ce que la grossesse n’est qu’une apparence extérieure d’un phénomène qui échappe à la perception directe des sens, de la vue en particulier, il s’ensuit qu’elle est insuffisante pour fournir la preuve de la conception, et que cette preuve ne pourrait résulter que de vérifications techniques dont la sûreté est loin de défier toute erreur. Nos mœurs répugnent à une opération de cette sorte, et on s’accorde à décider qu’elle ne saurait avoir lieu dans un intérêt privé, à moins que la femme ne la demande spontanément ; encore, même dans ce cas, surgirait aussitôt après une question très délicate de secret professionnel. Il faut donc, quand des intérêts civils et privés sont seuls en jeu, s’en tenir provisoirement à une apparence que quelques mois surliront à justifier ou à démentir. C’est ce qui arrive au cas où il s’agit d’obtenir des dispenses d’âge fondées le plus ordinairement sur cet état même qui, faisant légalement supposer la conception, est la preuve de la puberté de la femme et met en échec l’hypothèse légale d’après laquelle cette puberté ne se manifeste pour la femme qu’à quinze ans révolus. La grossesse, alors, légitime une mesure de faveur qui sauve l’honneur d’une famille (V. Mariace).

C’est par des raisons identiques que la loi, après avoir déclaré nul, dans l’art. 184 du C. civ., le mariage contracté par la femme avant quinze ans révolus, déclare cependant ce mariage inattaquable lorsque la femme qui n’avait pas cet âge a conçu, c.-à-d. appâtait enceinte, avant l’échéance de six mois. La grossesse survenue au cours d’une instance en séparation de corps ou de divorce peut être invoquée comme preuve de la réconciliation des époux, et fournir ainsi une fin de non-recevoir à l’action, comme aussi elle peut, à l’inverse, y apporter une justification, en démontrant qu’elle est due à l’inconduite de la femme. Celle-ci, suivant le rôle actif ou passif qu’elle a dans l’instance, peut donc avoir intérêt à simuler une grossesse fictive ou à dissimuler une grossesse réelle. Nous verrons cet intérêt alternatif se présenter dans d’autres cas. Aux termes de l’art. 340 du C. civ., bien que la recherche de la paternité soit interdite, si la femme a été enlevée, lorsque l’époque de cet enlèvement se rapporte’ à celle de la conception, le ravisseur peut être déclaré le père de l’enfant ; la loi laisse au juge le droit d’apprécier si, en fait, le ravisseur peut être déclaré le père de l’enfant, mais elle ne lui en fait pas un devoir (V. Rapt). Il devra toutefois recourir aux présomptions de l’art. 312 du C. civ. et il faudra que la femme accouche moins de 300 jours après qu’elle a cessé d’être au pouvoir du ravisseur, ou plus de 180 jours après l’enlèvement (V. Conception). La femme veuve qui se trouve enceinte au décès de son mari peut faire une déclaration de grossesse et provoquer la nomination d’un curateur au ventre (V. ce mot). Les héritiers du mari peuvent également demander cette nomination, soit en s’appuyant sur l’état de grossesse de la femme, soit en alléguant cette grossesse si la femme ne l’a pas annoncée. Le but de la nomination d’un curateur est de prévenir la supposition de part, au cas où la grossesse serait simulée, et de sauvegarder les droits éventuels de l’enfant à naître, si la grossesse est réelle. C’est en effet encore un cas où la femme peut avoir intérêt à simuler une grossesse fictive ou à cacher une grossesse certaine. Ainsi, la veuve pourrait se dire enceinte pour retenir les biens qui sont le patrimoine de l’enfant conçu et qui, à son défaut, retourneraient aux héritiers de son défunt mari. Mais, comme nous l’avons dit, aucune vérification n’est possible pour connaître actuellement la vérité : il faut attendre le terme légal de la grossesse alléguée.

On s’est demandé si l’état de grossesse peut avoir de l’influence sur la validité des contrats aléatoires souscrits par la femme. La question, si elle pouvait se soutenir sérieusement, aurait de l’intérêt au cas où le décès de la femme, se rattachant par sa cause à son état physiologique, surviendrait peu de temps après la souscription d’un contrat d’assurance sur la vie, ou de rente viagère. L’art 1975 du C. civ. déclare en effet nul le contrat par lequel une rente a été créée sur la tête d’une personne atteinte de la maladie dont elle est décédée dans les vingt jours de la date du contrat. La grossesse est un état naturel, et personne aujourd’hui ne songe à l’assimiler à un état morbide, au point de vue civil, tout au moins, car au point de vue criminel on ne saurait être aussi absolu, comme il sera dit plus loin.

L’état de grossesse est-il de nature à justifier, de la part de la fille enceinte, une demande en dommages-intérêts contre celui qu’elle prétend être son séducteur ? Cette question délicate a été résolue par l’affirmative. Tout d’abord, il ne faut pas la confondre avec une question très voisine qui a des points communs avec elle, celle de la recherche de la paternité. Le motif qui a déterminé le législateur à prohiber cette recherche est l’impossibilité, dans la plupart des cas, et en dehors d’un aveu exprès du père, d’affirmer la paternité de celui que désigne la fille-mère, à raison de ce qu’un autre en peut être l’auteur. Mais le fait d’avoir causé ou concouru à causer la grossesse peut être, en soi, et en dehors de toute attribution de paternité, considéré comme un fait dommageable dont la vérification est possible, et tomber sous l’application de l’art. 1382 du C. civ. C’est pourquoi, nonobstant l’interdiction de la recherche, l’engagement pris par un homme, envers la fille qu’il a séduite, de pourvoir aux besoins de l’enfant dont elle deviendra mère, crée une obligation licite qui doit recevoir son exécution. Si cette solution est exacte, le principe de l’obligation qu’elle consacre peut également bien se rencontrer dans le pur fait d’avoir été la cause de la grossesse. Tous les éléments du fait peuvent alors être pris en considération, et par conséquent être admis en preuve, sans excepter le point de savoir, par exemple, si celui qui oppose à la femme sa grossesse pour l’abandonner, n’en est pas lui-même personnellement l’auteur. E. Dramard. III. Droit criminel. — Nous avons dit que la vérification de la grossesse n’est pas admise en droit civil ; on a prétendu appliquer cette règle en matière criminelle ; mais on ne discute plus le droit, en principe, du magistrat instructeur d’y recourir, quand les nécessités de l’information l’exigent et en observant la plus rigoureuse prudence, sauf d’ailleurs le droit de l’inculpée de contester l’utilité ou l’opportunité de la mesure. La grossesse n’est plus, comme autrefois, un obstacle à la mise en jugement de la femme accusée d’un crime emportant peine de mort,