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Page:Lamirault - La Grande encyclopédie, inventaire raisonné des sciences, des lettres et des arts, tome 21.djvu/17

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MMSSAIB.E

(premier distributeur de soupe, cantinier), après lui venaient fachtchi-bachi (premier maltre-queux) et lesaqqabachi (premier distributeur d’eau). En raison île ces bizarreries, la marmite du régiment (qazâri) eu fut comme le drapeau, le centre de ralliement, et L’insigne de paradefut une cuiller de bois fixée au bonnet de feutre blanc. Sur la prière d’Orkhân, l’institution fut solennellement consacrée par le fondateur de l’ordre des derviches Liektachi, Cheikh Hâdii-Bektach, qui bénit la troupe en imposant les mains sur la tète de l’un des hommes et eu disant : <.< Cette milice aura nom yéni-tchéri (nouvelle milice) ; que la face de ces guerriers soit toujours blanche, leurs bras redoutables, leur sabre tranchant, leurs tiédies mortelles, et qu’eux-mêmes soient toujours victorieux ! » En mémoire de cette cérémonie, le bonnet du soldat fut agrémenté par derrière d’un morceau d’étoffe représentant la manche pendante du derviche. Ilàdji-Bektaeh devint naturellement le patron spirituel de cette troupe d’élite qui devait se rendre si célèbre par sa bravoure, ses crimes et enfin sa lâcheté. Tel est. l’historique de la création des yéni-tchéri, mot dont nous avons fait janissaires. Les commencements furent modestes ; le corps ne se composa que de mille hommes ; mais, chaque année, on enleva un millier d’enfants chrétiens pour l’augmenter. Ce chiffre alla toujours croissant et finit par atteindre des proportions formidables : Il n’y eut pas d’autre mode de recrutement jusqu’à Mohammed IV (1648-87). « C’est le plus épouvantable tribut de chair humaine, dit Th. Lavallée, qui ait été levé par une religion victorieuse sur une religion vaincue... Par cet étrange mode de recrutement, les Uttomans trouvèrent à la fois le moyen d’enlever aux populations chrétiennes leur partie la plus virile et de doubler leurs troupes sans mettre les armes aux mains des vaincus. » (Hist. de lu Turquie.) Mouràd I er (1360-89), qui dut aux janissaires d’être vainqueur des Serbes à Kossova, dota l’armée créée par son père d’un code militaire spécial et en perfectionna l’organisation. Après lui Mohammed II (1451-71), le conquérant de Constantinople, et celui de l’Egypte, Sélim I er (151 2-"20), complétèrent dans une large mesure les lois qui régissaient ce corps et y introduisirent les réformes devenues nécessaires avec le temps et le progrès. Or voici de quelle façon était constituée l’armée permanente des janissaires, à l’époque de sa plus grande gloire, c.-à-d. au xvi e siècle, sous Suleïmàn le Magnifique. Le corps entier, désigné sous le nom de odjdq, comprenait deux catégories : les stagiaires et l’armée active. Ces deux catégories étaient divisées en régiments (orta), chaque orta résidant en un local déterminé (oda, chambrée, caserne). Les stagiaires n’étaient autres que les enfants chrétiens faits esclaves au cours des guerres et les jeunes gens recrutés en vertu de la loi du devehirmé parmi les sujets ottomans non musulmans ; c’étaient des Albanais, des Bosniaques, des Bulgares, des Grecs, des Serbes ou des Arméniens de Roumélie. On les appelait adjémi-oghlân, c.-a-d. « enfants (de troupe) étrangers ». Avant d’entrer au service actif, ces novices, ces aspirants janissaires avaient à faire un stage de sept années. En conséquence, ils étaient envoyés, dès leur inscription aux rôles, les uns dans les palais impériaux, les autres aux casernes-écoles de Constantinople, ceux-ci au service des gouverneurs de province, ceux-là dans les fermes, jardins et vergers du sultan. Choisis parmi les plus robustes, sinon les plus intelligents, ils recevaient d’officiers instructeurs, de maitres es arts et métiers rétribués par l’Etat, une éducation aussi complète que possible en vue de leur uture carrière. Outre la langue turque et le catéchisme musulman, on leur enseignait le maniement des armes, les exercices de force et d’adresse, les différents arts manuels et industriels, l’agriculture, etc. On rompait leur esprit à la plus sévère discipline et leurs corps aux plus pénibles travaux. Ils étaient employés comme ouvriers dans les différents arsenaux, ateliers et manufactures de l’Etat. Sous le nom de bostandji (jardiniers), ils avaient la garde, la police et l’entretien des jardins du Sérail, de Scutari, des rives du Bosphore, de GalUpoli et d’Andrinople ; sous celui iHtch-oghlân (V. Icoglan), ils étaient pages de Sa Hautesse. Six cents d’entre eux étaient employés aux travaux de menuiserie et de calfatage à bord des galères de l’Etat, tandis que d’autres ramaient sur les caïques du sultan. C’est enfin parmi eux que se recrutaient les marmitons {djévelek) et les bûcherons (battadji) de la maison impériale. Après un long et dur apprentissage, les adjémi-oghlân, s’ils étaient dignes d’entrer dans le rang, étaient admis à combler les vides laissés par les janissaires morts ou retraités. Ils étaient alors répartis dans les différentes armes du corps suivant leurs aptitudes. Djévad Bey relate ce fait curieux qu’à leur arrivée à Constantinople, les stagiaires nouvellement promus avaient pour tradition de se rendre à leurs quartiers respectifs en marchant à la queue leu-leu et en se tenant les uns les autres par le pan du vêtement. Ils défilaient ensuite devant l’oda-bachi qui, comme symbole de soumission, appliquait à chacun d’eux un soufflet et lui tirait les oreilles. A quoi l’on répondait par le niyâz ou salut militaire qui consistait à croiser les bras sur la poitrine en inclinant profondément la tète ; puis on recevait son brevet ( sofa-tezkéré ) aux emblèmes de l’orta. Voilà comment on devenait janissaire avant l’an 1591, car à partir de cette date le corps des adjémi-oghlân perdit complètetement de son prestige, l’habitude ayant été prise de recevoir dans l’odjâq une foule de gens sans aveu. Le corps entier était divisé en 30 boulouk (troupe) et "29 djémaat (compagnie), autrement dit 59 ortas, comptant chacune trois officiers : le tchorbadji bachi (colonel), le meïdânkiahya (capitaine) et le qapoudji (= huissier), sorte de référendaire du corps près l’agha commandant en chef la milice des janissaires. L’odjaq était sous les ordres immédiats de Vistamboul-aghaci et du bostandji-bachi, officiers supérieurs relevant eux-mêmes de l’agha. Enfin les adjémi-oghlân touchaient une solde et des rations réglementaires ; ils avaient des costumes spéciaux et une caisse de secours. D’après l’historien Aini Ali Efendi, l’effectif des adjémi-oghlân, y compris les officiers, maitres et instructeurs, était en 1609 de 9,406 hommes recevant par trimestre une paye de 2,206,820 aspres ; effectif réduit un siècle plus tard au chiffre de 6,781 hommes à raison de 376,104 aspres par trimestre.

De 165 qu’il était sous Mourâd I er , le nombre des ortas de la milice active fut porté un peu plus tard à 1 96, chiffre qui ne fut dès lors jamais dépassé. Ces 196 régiments furent divisés en trois classes : djémaat comprenant 101 ortas ; boulouk, 61 ortas ; segbdn ( vulg. seïmen, piqueurs), 3i ortas. L’effectif de chaque orta varia à toute époque, suiant l’arme et suivant les circonstances ; il fut de 100, de 400, de 500 hommes et même, sous Abd-ul-llamid V et Sélim III, de 2,000 et 3,000 hommes. Conséquemmeut, l’effectif total de l’odjaq s’accrut d’année en année dans une proportion égale, ainsi que l’indique le tableau suivant :

ANNÉES

RÈGNES

EFFECTIF

1523

Suleïmàn

1.200

1574

Mouràd III.

13.600

1580

id.

27.000

1593

id.

48^8

1595

Mohammed III

45.000

1609

Ahmed I 01 .

37.627

1623

Mourâd IV.

44.858

1631

id.

46.113

1678

Mohammed IV.

54.896

1698

Moustafa II.

33.389

1727

Ahmed III.

81.000

1805

Sélim III.

110.000

1824

Mahmoud II.

140.000

Il n’existait pas seulement de différence, entre chaque orta de la milice active, pour l’effectif réglementaire, ma’s