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de Bernouilli. À la vérité, la courbe suivant laquelle l’utilité de la richesse décroît varie beaucoup d’un individu à l’autre, et est sans doute pour chaque individu moins régulière que Bernouilli n’a voulu.

44. La richesse et le bonheur. — Mais ce n’est pas assez de dire que la décroissance de l’utilité de la richesse ne se laisse pas exprimer par une formule unique et rigoureuse comme est la formule de Bernouilli. Il y a lieu de se demander si celui-ci a eu raison de croire qu’à une augmentation de la richesse correspondait indéfiniment une augmentation — à la vérité toujours décroissante — du bonheur, ou si à partir d’un certain point, pour la généralité tout au moins des hommes, l’augmentation de la richesse ne diminuait pas le bonheur.

Voyons donc d’un peu près de quelle manière notre fortune influe sur notre condition, au point de vue hédonistique.

Il est certain que la richesse est une chose précieuse, en tant qu’elle nous délivre de certains maux. Celui qui a beaucoup d’argent est assuré de pouvoir se procurer, de pouvoir procurer aux siens, en cas de maladie, tous les secours que l’homme peut recevoir quand il tombe malade. Il est débarrassé de quantité d’incommodités qui causent beaucoup de souffrances aux gens pauvres ou médiocrement fortunés : il peut avoir un logement spacieux, il ne sera pas obligé de circuler à pied par les mauvais temps, etc. Enfin, il n’aura pas ce perpétuel souci de l’avenir, il ne vivra pas dans cette incertitude anxieuse qui est le lot de tant de personnes, et où l’on doit voir une des pires misères de notre époque.

On est en droit de dire, toutefois, que sauf dans quelques cas exceptionnels — il est des maladies ou des infirmités qui peuvent être soulagées moyennant des soins tout particuliers, et extrêmement coûteux —, cette richesse n’est pas si grande qu’il est nécessaire d’avoir pour se préserver des maux indiqués ci-dessus. Et il est en tout cas une richesse qu’il est inutile, sous le rapport que nous considérons ici, de dépasser : les soulagements supplémentaires qu’une richesse supérieure nous permettrait d’obtenir nous coûteraient des tracas qu’il n’est pas avantageux de s’imposer.

Attachons-nous maintenant à ces satisfactions positives que l’on peut acheter avec de l’argent. L’utilité totale qu’elles représenteront pour nous s’accroîtra-t-elle indéfiniment avec la richesse ? Nous croyons qu’à l’ordinaire il n’en sera pas ainsi, et même qu’un moment pourra venir où, la richesse augmentant, le bonheur diminuera.

Pour justifier cette thèse, nous ne dirons pas que la richesse ne permet pas d’acquérir tous les biens — comme aussi elle ne permet pas d’éloigner tous les maux —, que les dispositions « heureuses » du caractère, l’affection des proches, l’amitié, la santé, dans une très grande mesure, ne s’achètent pas, et que ce sont là les sources ou les conditions principales