Page:Landry, Manuel d’économique, 1908.djvu/136

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de ces sentiments si divers sur l’homme réel rende celui-ci très différent de l’homo oeconomicus. En particulier ils ne l’empêcheront pas, dans l’ensemble, de chercher à acquérir le plus possible ; ce sera même le contraire. Quelques brèves remarques suffiront à l’établir.

1° Des sentiments indiqués plus haut, il en est que l’on ne peut satisfaire, bien souvent, sans augmenter son avoir ou ses revenus : les situations qui nous donnent de l’autorité sur nos semblables sont assez ordinairement des situations où l’on gagne plus qu’ailleurs.

2° D’autres, parmi ces sentiments, sont tels que l’acquisition est la meilleure façon de les satisfaire. Ainsi dans nos sociétés modernes, plus encore que la puissance politique, que les découvertes scientifiques ou que le talent artistique, la richesse est le but où tendent ceux qui veulent s’élever : car il est plus facile d’y parvenir. Et c’est surtout à tenter de constituer de grandes fortunes que s’emploieront ceux qui ont le goût passionné de l’action et de la création[1].

3° Enfin la richesse, quand elle ne satisfait pas d’une manière directe nos sentiments égoïstes, nous fournit des moyens de les satisfaire : il est plus aisé à l’homme qui est riche de réaliser des ambitions politiques, d’ob tenir certaines distinctions, etc.

4. Le reste de la question.

60. Les actes déraisonnables. — Faisons abstraction des mobiles désintéressés, comme aussi de ces inclinations égoïstes dont nous venons de parler et qui peuvent nous détourner d’agir comme ferait l’homo oeconomicus. Même ainsi, nous l’avons dit, nous verrons les hommes ne pas conformer leur conduite à leur intérêt économique. Ils commettent des actes déraisonnables ; ils sont victimes de l’erreur et de l’ignorance ; ils ne se préoccupent pas assez de chercher ce qui leur serait le plus avantageux.

Quand on parle des actes déraisonnables des hommes, il faut tenir compte, bien entendu, des conditions particulières du bonheur de chacun. L’avare, avons-nous dit, est moins heureux qu’il ne serait s’il n’était point possédé par sa passion ; mais étant possédé par elle, il n’est point déraisonnable de sa part qu’il cherche à la satisfaire — pour autant du moins qu’elle est inguérissable — : à vouloir la combattre, il se condamnerait à être moins heureux, ou plus malheureux encore. L’avare sera déraisonnable s’il se refuse, par exemple, à profiter de telle occasion qui se présente à lui

  1. Voir Taussig, The love of wealth and the public service (dans les Publications of the American économie association, 3e série, VII, 1, 1906).