Page:Landry, Manuel d’économique, 1908.djvu/138

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paresseux quand pouvant acquérir, par son travail, plus d’utilité que le travail ne représente lui-même de disutilité, on ne travaille pas, cependant, parce qu’on répugne à faire l’effort nécessaire pour se mettre à la besogne.

61. La dépréciation des biens futurs[1]. — Une autre disposition déraisonnable est la disposition à préférer les satisfactions présentes — c’est-à-dire toutes prochaines — aux satisfactions futures — c’est-à-dire relativement éloignées —, à préférer d’une manière générale les satisfactions moins éloignées aux satisfactions plus éloignées.

On remarquera que nous parlons de la préférence donnée aux satisfactions présentes, ou prochaines, non point de la préférence donnée aux biens présents, ou prochains. La vérité que nous voulons établir, en effet, a plus de généralité si on compare les satisfactions que si on compare les biens. Un bien, très souvent, nous sera plus utile dans le futur que dans le présent, et cela, soit parce que nos besoins sont destinés à augmenter, soit parce que nos ressources sont destinées à diminuer. Dans un tel cas, on aimera souvent mieux l’acquérir plus tard que l’acquérir sur l’heure, si c’est un bien périssable — car si c’est un bien durable, on peut le prendre tout de suite, et le mettre en réserve — ; mais à utilité égale, on aimerait mieux l’acquisition immédiate. D’autre part, il faut tenir compte de ce fait que lorsqu’on retarde une jouissance, par exemple, au plaisir principal de la jouissance s’ajoute comme accessoire le plaisir anticipai : l’enfant qui attend pour manger son gâteau veut faire durer plus long temps ce plaisir anticipal ; il s’agit donc, pour lui, d’avoir une satisfaction plus grande.

Nous attachant à la comparaison de satisfactions égales, mais inégalement distantes, nous pourrons dire que c’est d’une manière presque universelle qu’on préfère les satisfactions les moins éloignées. On ne voit guère d’homme qui estime également deux utilités égales inégalement éloignées — si les utilités sont mesurées correctement — ; et l’on n’en voit pas qui préfère la moins proche. Quelles sont les causes de la dépréciation des utilités futures ? Parmi celles que l’on peut qualifier de déraisonnables, la première est dans notre imagination, laquelle nous représente d’une manière plus vive les plaisirs et les peines quand ils sont plus proches : l’idée de l’éloignement dans le temps subit en quelque sorte l’attraction de celle de l’éloignement dans l’espace, éloignement qui diminue la vivacité comme aussi la netteté des impressions. De plus, quand il s’agit de comparer, par exemple, deux plaisirs dont l’un est relativement proche, et l’autre plus reculé, les deux

  1. Voir sur ce point Böhm-Bawerk, Positive Théorie des Capitales, liv. III, iii, pp. 266-273, et Landry, L’intérêt du capital, §§25-27.