Page:Landry, Manuel d’économique, 1908.djvu/583

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débattus entre employeurs et ouvriers sans qu’aucune force extérieure intervienne, sans qu’il y ait de coalition d’un côté ni de l’autre, ces salaires s’élèveront si les idées changent que l’on a sur la légitimité et sur la nécessité de la distribution d’aujourd’hui ; c’est que les variations dans le taux de l’intérêt, encore, dépendent de l’évolution de ces mêmes idées.

Ainsi entendue, la thèse que nous discutons ne saurait se rapporter évidemment qu’à une partie — d’ailleurs fort importante — des phénomènes de la distribution. Ceux qui la soutiennent pensent particulièrement aux revenus du travail et du capital. Mais si à l’égard de ces revenus leur argumentation peut paraître spécieuse, ils ne songent pas, et nul sans doute ne songera à étendre leurs conclusions par exemple aux rentes dites différentielles. Si l’exploitation d’une terre donne un certain produit, et qu’une autre terre, avec des dépenses d’exploitation égales, donne un produit double, on ne voit pas comment l’évolution des idées sur la justice pourrait empêcher le propriétaire de la deuxième terre d’être plus riche que l’autre de tout le montant de son excédent de production.

Attachons-nous donc aux salaires et à l’intérêt, ou même attachons-nous aux seuls salaires : car la conception que nous discutons porterait à croire que c’est des salaires plus ou moins hauts qu’il faudra payer que dépendra l’intérêt que les capitalistes pourront retirer de leurs placements. Devons-nous admettre que les salaires dépendent de la conception courante de la justice, et de tels autres facteurs du même genre ?

De cette théorie, à coup sûr, il y a quelque chose à retenir. Tout d’abord, nous savons que la valeur n’est pas toujours déterminée d’une manière exacte par les facteurs proprement économiques. Sur un marché, s’agissant d’une certaine sorte de biens, l’action de ces facteurs, comme nous l’avons vu, peut laisser une certaine marge pour le marchandage ; et une marge pareille existera de toutes les façons quand le marché ne sera pas un « marché parfait » : or, dans le marchandage, tous ces facteurs dont on nous parle pourront jouer un rôle. Les facteurs extra-économiques n’interviendront pas seulement là où les autres ne jouent pas ; bien souvent ils substitueront leur action, dans une mesure plus ou moins grande, à celle de ces derniers. Un patron pénétré de certaines idées, par exemple, donnera à ses ouvriers un salaire supérieur à celui dont ils se contente raient. Certains hauts salaires dépassent vraisemblablement de beaucoup ce qu’il faudrait donner aux bénéficiaires pour s’assurer leurs services ; et la persistance de certains préjugés aristocratiques parait bien être la cause principale de ce fait : on conçoit volontiers qu’il doit y avoir une exacte proportion entre l’importance de la fonction et la rémunération ; peut-être aussi croit-on qu’il est nécessaire de payer grassement les gens pour qu’ils aient plus d’autorité sur leurs subordonnés ; et quand il s’agit d’en-