Page:Langlois - Collection des historiens anciens et modernes de l’Arménie ; Première période, tome 2, 1869.djvu/76

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’anciennement, comme de nos jours, les Arméniens dédaignaient la science et les chants traditionnels[1] ; c’est pourquoi il est superflu de s’arrêter plus longtemps sur ces gens vulgaires, ignorants et grossiers.

Mais j’admire la belle conception de ton intelligence ; tu es le seul, depuis l’origine de nos générations jusqu’à aujourd’hui, qui aies songé à entreprendre une si grande chose, à nous proposer de coordonner dans un long et utile travail l’histoire de notre nation, de retracer avec vérité les actions des rois, des races et des maisons satrapales, leur origine, les hauts faits de chacun ; de dire quelles sont les races indigènes, les races étrangères qui acquirent chez nous les droits de naturalisation ; finalement d’inscrire chaque époque, depuis le temps de la construction insensée de la Tour [de Babel] jusqu’à ce jour ; précieux travail entrepris pour ta gloire et ta satisfaction, sans labeur pénible.

À cela, je dirai seulement : « Un livre sera-t-il près de moi, comme s’exprime Job[2] ; ou bien la littérature de tes ancêtres me venant en aide, comme les historiens hébreux, descendra-t-elle d’en haut pour arriver jusqu’à toi sans erreur ? ou mieux encore, commencera-t-elle par toi pour remonter jusqu’à l’origine des autres ? Mais quelle que soit la fatigue, je commencerai, pourvu qu’il se trouve seulement quelqu’un qui me soit reconnaissant de mon travail. Je commencerai donc, comme l’ont fait les autres historiens, selon le Christ et selon l’Église, considérant comme chose superflue de répéter les fables des auteurs profanes touchant les origines ; ne reprenant que quelques faits des temps postérieurs, [ne citant] que certains personnages auxquels se réfèrent les divines Écritures, jusqu’à ce qu’enfin nous arrivions forcément aux récits des païens, dont nous n’extrairons que ce qui nous paraîtra certain.

CHAPITRE IV.

Comment les autres historiens diffèrent entre eux
touchant Adam et les autres patriarches.

En ce qui concerne la racine du genre humain, ou si l’on aime mieux, la cime, il convenait de dire en peu de mots comment les autres historiens s’éloignent de l’Esprit-Saint et ne s’accordent pas entre eux ; je veux dire Bérose (Piouros), le Polyhistor (Pazmaveb) et Abydène[3], au sujet du constructeur de l’arche et des autres patriarches, non seulement pour les noms et les époques, mais aussi parce qu’ils n’assignent pas au genre humain la même origine que nous. Ainsi, à l’égard [d’Adam], Abydène et les autres historiens s’expriment ainsi[4] : « Dieu, dans sa providence pour tous, le fit pasteur et guide de son peuple ; puis il dit : « Alorus régna dix sares », qui font trente-six mille ans. De même à l’égard de Noé, auquel ils donnent un autre nom[5] et [attribuent] des temps infinis, quoique, pour le débordement des eaux et la corruption de la terre, ils s’accordent avec les paroles de l’Esprit-Saint[6]. Ils nomment également dix patriarches, en comprenant Xsinthros (Khsisouthros)[7]. Ainsi, non seulement d’après la révolution du soleil et la division de notre année en quatre saisons, leurs années sont de beaucoup différentes des nôtres et surtout des années divines, mais de plus, ils ne calculent pas d’après les nouvelles lunes, comme les Égyptiens. Quant aux périodes qu’ils disent tirer leur nom des divinités, — si quelqu’un les considère comme des années, — ils ne les comparent pas avec notre calcul, mais tantôt ils les augmentent et tantôt ils les diminuent[8]. C’est donc un devoir pour nous d’exposer ici leurs opinions, et d’écrire pourquoi ils ont pensé de la sorte ; mais, à cause de la longueur de cet ouvrage, je réserve les détails pour un autre endroit et un autre temps, et je termine en commençant par les choses dont nous sommes certains.

Adam premier être créé. Celui-ci, ayant vécu deux cent trente ans[9], engendra Seth. Seth, ayant vécu deux cent cinq ans, engendra Enos. Celui-ci dressa deux colonnes en vue de deux événements futurs, comme le dit Josèphe[10], mais je ne sais pas où. Enos est le premier qui eut l’espérance d’appeler Dieu.

Pourquoi donc dit-on qu’Enos fut le premier qui ait appelé Dieu, ou que signifie le mot appeler ? Car Adam est vraiment la créature de Dieu, de la bouche de qui il est dit avoir reçu l’ordre ; mais,

  1. Cf. Collect. des hist. d’Arm., p. 25, note 2.
  2. Job, XXXVII, 20.
  3. Cf. Thomas Ardzrouni, Hist. des Ardzrouni (en 1852), qui cite également Bérose et Abydène, à propos de l’histoire des premiers âges du monde.
  4. Eusebe, Chron., I, p. 46-47 (éd. Aucher). — Le Syncelle, p. 30.
  5. Xisuthros. — Cf. Eusèbe, Chron., I, p. 40.
  6. Alexandre Polyhistor ; cf. Eusèbe, Chron., p. 38.
  7. Eusèbe, Chron., I, p. 28-29.
  8. Cf. Eusèbe, Chron., t. I, p. 26-28, et note 1, page 28.
  9. Trois manuscrits donnent la variante : « deux cents trente-sept ans. »
  10. Josèphe, Antiq. judaiques, liv. I, ch. 2. — Vartan, Hist. univ. (en arm., Venise, 1862), p. 37.