Page:Langlois - Histoire du moyen âge, 1901.djvu/60

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ne se figure pas que le monde puisse continuer d’exister sans lui. Malgré les avertissements qu’on a reçus, son optimisme est imperturbable. Il aurait certes bien des raisons d’être un mécontent : le sénat, dont il est si fier d’être membre, n’est presque plus rien, et l’on persécute le culte qu’il professe. Cependant il ne cesse pas de louer ses maîtres et il est satisfait de son temps. C’était une de ces âmes candides qui regardent comme des vérités incontestables que la civilisation a toujours raison de la barbarie, que les peuples les plus instruits sont inévitablement les plus honnêtes et les plus forts, que les lettres fleurissent toutes les fois qu’elles sont encouragées, etc. Or il voit précisément que les écoles n’ont jamais été plus nombreuses, l’instruction plus répandue, la science plus honorée, que les lettres mènent à tout, que le mérite personnel ouvre toutes les carrières ; aussi s’écrie-t-il, dans son enthousiasme : « Nous vivons vraiment dans un siècle ami de la vertu, où les gens de talent ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes s’ils n’obtiennent pas les situations dont ils sont dignes ». Et il ne lui semble pas possible qu’une société si éclairée, qui apprécie tant les lettres et fait une si grande place à l’instruction, soit emportée en un jour par des barbares !

[Illustration : Les registres du fisc brûlés sur le Forum (bas-relief de la Tribune aux Harangues).

Sur l’ordre de l’empereur, les scribes apportent, pour en faire un bûcher, les registres où sont inscrits les noms des citoyens en retard sur le fisc. Dans le fond, la façade du temple de Vespasien, puis une arcade du Tabularium, le temple de Saturne, les arceaux découronnés de la basilique Julia.]

Il lui arrive pourtant de voir et de noter au passage quelques incidents fâcheux, par lesquels se révélait le mal dont souffrait l’empire, et qui auraient dû lui donner à réfléchir. Par exemple, il raconte à quelqu’un qui l’attend qu’il ne peut pas sortir de Rome parce que la campagne est infestée de brigands : c’en est donc fait de la paix romaine, si vantée dans les inscriptions et les médailles, puisque, aux portes mêmes de la capitale, on n’est plus en sûreté ! Une autre fois il se plaint que l’empereur, qui manque de soldats, demande aux gens riches leurs esclaves pour les enrôler, et cette mesure ne lui révèle pas à quelles extrémités l’empire est réduit ! Mais ce qui est plus significatif encore, ce qui indique plus clairement un profond désordre et annonce la ruine prochaine, c’est le triste état de la fortune publique. Les preuves en sont partout chez Symmaque. Il nous fait voir que le fisc a tout épuisé, que les riches sont à bout de ressources, que les fermiers n’ont plus d’argent pour payer les