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dialecte et âge

D’une part, donc, en considérant que la confusion des deux sons existe déjà dans notre poème, nous en conclurons qu’il n’a pas été écrit dans la région N.-E. ; d’autre part, en observant que cette confusion est encore incomplète et par conséquent récente, nous ferons remonter notre chanson au commencement du xiie siècle, époque où les deux sons ont été réunis dans le reste de la langue d’oïl. An et en sont encore bien distincts dans les poèmes de Clermont, dans le Saint Léger, dans le Saint Alexis, mais cette distinction apparaît déjà moins pure dans le Roland. Il semble même que le mélange de ces deux sons soit aussi avancé dans ce dernier poème que dans le Coronement Looïs, et, comme il est évident que la chan-

    ne peut résister devant les objections suivantes : 1° les trouvères, pour la plupart, n’étaient pas instruits et ne connaissaient pas suffisamment l’étymologie des mots pour en faire la base de leur système d’assonance ; 2° des chartes de la région N.-E. font au xiiie siècle cette distinction dans la graphie ; 3° enfin, dans cette même région, les patois actuels distinguent encore les deux sons. — M. Meyer dit : « Les trouvères qui opèrent la distinction, et c’est l’immense majorité, admettent cependant parmi les rimes en ant des mots qui, étymologiquement, devraient s’écrire par e et rimer en conséquence. Ce sont (si je n’en oublie point), covant (couvent), dolans, escient, noient (néant), orient ( ?), sans (sens), sergans (sergent), talans, tans ». Ce fait est réel, mais comment ces trouvères se seraient-ils entendus pour faire tous les mêmes exceptions, s’ils n’avaient été guidés par la prononciation ? Bref, cette théorie peut être vraie pour quelques poètes, mais il ne faut pas la généraliser. La distinction repose sur une différence de sons ; c’est, depuis une certaine époque, un fait dialectal, qui appartient à la région N.-E. (picarde, dans le sens très large souvent donné à ce mot). Comme le picard a beaucoup produit, on trouve souvent cette distinction. Si on la rencontre dans un texte qui n’est pas picard (ni anglo-normand), c’est un indice que ce texte est très ancien.