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LES CARACTÈRES ET LES PASSIONS.

Pauline s’élève par une progression analogue. Elle a d’abord pour Polyeucte une affection paisible, raisonnable, d’estime pour l’honnête homme, de devoir pour le mari. L’inclination, comme elle le dit, va à Sévère, qui la mérite, car

 
… jamais notre Rome XXXX
N’a connu plus grand cœur ni vu plus honnête homme.

Mais à mesure que la pièce se développe, l’exaltation chrétienne de Polyeucte fait pâlir les vertus humaines de Sévère. Elle conçoit de combien ce mari qui, l’aimant, la possédant, renonce à elle, et sacrifie son bien réel à une idée, est plus grand que cet amant qui met en elle son bien souverain et toute sa raison d’agir. Sa générosité lui commande d’être avec celui qui se perd et qui perd tout, non avec celui qui profitera par cette perte. Aussi, tandis que sa volonté choisit le plus difficile, comme étant le plus sûr, son amour le lui rend facile, en se portant d’une perfection moindre vers une perfection plus haute : admiratrice tout à l’heure de la noblesse stoïcienne de Sévère, elle est transportée maintenant par la sainteté chrétienne de Polyeucte. L’amour de Sévère, maintenant, c’est le passé : le présent, c’est qu’elle « adore » son mari. Elle ne peut donc s’abstenir de tendre à s’unir avec lui : et c’est ainsi qu’il l’emporte après lui jusqu’à Dieu ; sa conversion est la preuve qu’elle a une claire notion de la source d’où jaillissait l’héroïsme de Polyeucte. Voilà une femme qui aime deux hommes, déplace sa préférence de l’un à l’autre, et aboutit enfin à se reposer en Dieu : c’est toute une vie morale qui tient dans une