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L’INFLUENCE DE CORNEILLE.

fils la tête de leur mère, même si elle ne croit pas l’obtenir. Sertorius et Agésilas cédant leurs maîtresses, Othon quittant la sienne sont des politiques. César, Pulchérie, agissent par « honneur » et presque par « point d’honneur ». Le Cid provoquant le comte à un duel, Émilie et Cinna conspirant le meurtre d’un tyran, font des actions grandes qui sont pour le moraliste des homicides. Dans tout cela, je vois plus de force que de vertu : ce ne sont pas les actions qui sont des modèles, mais indépendamment des actions, l’énergie de l’agent. Et je remarque précisément que si Racine nous demande l’indulgence pour les faiblesses de ses héroïnes, c’est en raison de la puissance irrésistible et fatale de la passion : tandis que, pour Corneille, l’excuse du crime, le fondement d’une certaine impression favorable qui tempère l’aversion pour les actes commis, c’est le choix volontaire exercé constamment par le héros. Si son Attila, si sa Cléopâtre lui paraissent « beaux » et dignes d’« admiration », c’est par la force avec laquelle ils sont ce qu’ils veulent être.

Ainsi l’héroïsme cornélien, c’est la volonté, dont l’acte du reste est tantôt opposé et tantôt conforme à la vertu, parfois différent et mêlé. Et le contraire de l’héroïsme, c’est l’impulsion inconsciente, fût-elle sainte, autant que la faiblesse consciente, fût-elle honnête. Polyeucte est un héros en même temps qu’un saint, parce qu’il agit avec une pleine connaissance de l’objet et des motifs de ses actions : avec moins de réflexion et une spontanéité toute naïve, il serait aussi saint, mais il ne serait plus le héros de Corneille.