Page:Lanson - Corneille, 1922.djvu/206

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
202
CORNEILLE.

se révolte. Or, du dedans comme du dehors, les assauts aujourd’hui sont moins forts. Les passions, jadis promptes à saisir leurs objets, s'amusent aujourd’hui de les regarder ; on jouit de désirer, sans hâte de posséder ; on sait trop que dans la possession périt la jouissance ; on se fait le poète de sa sensualité, de son ambition, de ses vices. Si l’on ne renonce pas aux petites occasions de se satisfaire sans risque et sans tracas, on ne cherche pas, on redoute plutôt les pleines satisfactions qui ne vont pas sans les grands efforts et les grands périls : si bien que, n’ayant plus peur de soi-même, sûr de cultiver sa petite corruption sans trop se compromettre et sans trop se dégrader, on estime n’avoir plus à se contenir, à se combattre. Et la volonté, maîtresse des actes, n’a plus à interdire aux passions du dedans de pénétrer dans les actes : elles n’oseraient. Aussi la volonté désarme : et peu à peu elle s’endort, elle s’engourdit, elle meurt.

Voilà pourquoi, plus que jamais, la leçon de Corneille est bonne à entendre. Plus il est facile de vivre machinalement, suivant la voie tracée par les institutions, les usages et les habitudes, plus il faut estimer la réflexion qui contrôle et qui choisit. Mais plus aussi il est facile de perdre dans la réflexion le pouvoir d’agir, plus il faut estimer la volonté qui exige une conclusion de la réflexion et qui l’exécute. Plus on se trouve aisément porté à un certain degré d’honnêteté banale et moyenne, par le bien-être de la civilisation et l’adoucissement des mœurs, et plus on est exempt des grandes tentations ou préservé des chutes profondes, plus il faut de raison et