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LE THEÂTRE AVANT CORNEILLE.

d’un prince ne les ait gratifiés de quelques habits encore propres, un public grossier et tumultueux, des marchands, des clercs, des écoliers, des artisans, des pages, des soldats, des spadassins et des filous : voilà le cadre offert à la sublime tragédie. Elle se produit, pour se faire accepter, en vulgaire compagnie. Un prologue la précède, facétieux, bourré de calembours et d’obscénités, pour mettre le public en belle humeur. Une farce la suit, brutale et crue, pour dissiper l’émotion triste ; et le spectacle se termine souvent par des chansons ordurières.

L’Hôtel de Bourgogne, jusqu’à la veille du Cid, se soutenait surtout par ses farceurs.

Longtemps le « monde » ne s’était pas risqué dans ces misérables tripots. Mais, depuis plusieurs années, de beaux esprits connus à la cour avaient travaillé pour les comédiens ; quelques grands seigneurs les avaient protégés, eux, leurs pièces et leurs poètes. M. le Cardinal surtout avait déclaré son goût pour la poésie dramatique, et récompensait une comédie comme une ode. La société polie s’accoutuma à venir occuper les loges ; à la porte du théâtre, certains jours, on vit dans la presse des cordons bleus. Enfin les dames ne craignirent plus de se montrer à la comédie. Il ne s’y débita plus rien qu’une honnête femme ne pût entendre : c’est-à-dire selon les bienséances de 1630 qui ne sont pas, tant s’en faut, celles de 1900. La présence habituelle des dames consacra la vogue du genre dramatique. En dix ans, ce genre méprisé prenait le pas sur le lyrique. Les poètes, naguère ouvriers aux gages des comédiens, inconnus du public autant que les déco-