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LES ÉCRITS THÉORIQUES DE CORNEILLE.

de temps ni un lieu plus étendu qu’il ne faut pour poser et résoudre la question tragique.

Pour l’unité d’action, notre poète est plus porté à resserrer qu’à relâcher la rigueur de la règle. Il la définit par l’unité de péril : il se condamne sévèrement s’il a fait un chef-d’œuvre comme Horace, où le héros passe d’un péril à un autre. Ici Corneille est véritablement original et novateur, car si sa théorie vient après celle de d’Aubignac, la théorie de d’Aubignac avait été précédée de ses œuvres. Le péril doit être un, parce que l’œuvre dramatique est un problème : lorsque la solution est trouvée, tout est fini, sans qu’on doive poser un problème nouveau. L’exposition contient la question, le dénouement donne la réponse, le cours de l’action démontre la nécessité ou la justesse de la réponse. La tragédie consistera donc à exposer les moyens par lesquels le fait illustre, qui est le sujet tragique, est produit, à mettre sous les yeux du public le jeu de sentiments et de passions qui, concourant ou s’opposant, travaillent à retarder ou amener l’événement final. Voilà, dans la technique du théâtre, la grande invention de Corneille, l’idée par laquelle il est le vrai fondateur du théâtre français : il a donné sa constitution définitive à cette forme du poème dramatique qui réalise encore aujourd’hui, pour la plupart des Français, la seule notion légitime du théâtre : il a le premier défini avec une claire conscience la loi fondamentale du système, que l’action tragique est l’étude de la préparation morale d’un fait.

Or, quoique cette conception s’ébauchât dans des œuvres antérieures, elle était encore si confuse que