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CORNEILLE.

ni les dieux descendus du ciel ne sont autorisés à l’introduire. La machine montée au premier acte doit fonctionner jusqu’au cinquième sans que le poète y mette la main. Toute cette mécanique cornélienne est la conséquence logique de la nouvelle conception de l’action dramatique.

Corneille semble pourtant avoir gardé quelque chose de l’ancienne poétique : c’est la persuasion que la tragédie doit avoir pour sujet un événement inouï, qui soit hors de la nature commune et de l’expérience journalière : comme un frère qui tue sa sœur, une mère qui tue son fils, une fille qui épouse le meurtrier de son père. « Je ne craindrai pas d’avancer, dit-il, que le sujet d’une belle tragédie doit n’être pas vraisemblable. » Mais il faut bien comprendre ce qu’il veut dire : il entend par là que les événements qui arrivent tous les jours, qui n’excitent aucune surprise, ne sont pas ceux que la tragédie doit choisir. Il faut qu’on s’étonne du fait, pour que l’on prenne un vif plaisir à voir comment c’est arrivé. Mais en s’étonnant, il ne faut pas que l’on doute : le sujet sera donc invraisemblable et vrai. Où trouver de tels faits ? Dans l’histoire : et en effet, en posant le principe que le sujet tragique doit n’être pas vraisemblable, Corneille prétend simplement obliger le poète à traiter des sujets historiques. L’histoire garantit la possibilité de l’invraisemblable : car, comme dit Aristote, si ce n’était pas possible, ce ne serait pas arrivé.

Cette garantie de possibilité qu’on demande à l’histoire est la seule raison qui mène Corneille à y prendre ses sujets : la seule aussi qui lui fasse écarter