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l’histoire et la politique.

de tout cela même dans Lucain. Corneille l’a laissé tomber : cela n’entrait pas dans son action.

Si l’on veut y regarder de près, que reste-t-il d’espagnol dans le Cid ? Don Diègue brandissant l’épée de Mudarra, ou mordant les doigts de ses fils, saint Lazare apparaissant à Rodrigue sous les traits d’un lépreux, toute l’Espagne rude et dévote est soigneusement effacée par l’imitateur de Guilhem de Castro. Ôtez le fait et les noms de la légende : il n’y a pas un trait, pas une note qui donne la sensation qu’on est en Espagne plutôt qu’ailleurs. Tout est humain, non local.

Et c’est pour cela que tout est français. On n’échappe pas à la particularité, à la localité : et quand un poète ne se fait pas une loi de rendre la couleur de ses sujets, il prend sans y songer celle de son temps.

Ce défaut de curiosité pittoresque chez Corneille, et cette insouciance dans la localisation des sujets ne sont pas pour nous étonner. Il a le génie de son temps : réaliste, pratique, actif. L’histoire, cette mémoire collective, comme la mémoire individuelle, n’est pas encore une contemplation poétique du passé, terminée à la jouissance. Elle n’est employée qu’à fournir des souvenirs utiles. On ne lui demande point la vision émouvante des choses qui furent une fois. On y cherche une conduite ; on en tire des indications pour s’orienter dans la confusion du présent et dans l’incertitude de l’avenir. On en extrait ce que les formes singulières des événements contiennent de général et de permanent, capable d’être utilisé pour la vie des individus et des États :