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l’histoire et la politique.

empereur. Quand l’élection de Martian paraît certaine, il se rabat du côté de sa fille Justine ; il se contenterait d’être gendre et héritier. Irène, une fine intrigante, une véritable Anne de Gonzague, n’a pas une illusion sur son amant : elle est sûre qu’il la trahira pour sa fortune ; elle ne s’en dégoûte pas pour cela. Mais elle dresse ses batteries en conséquence : si Aspar gagne la partie, il la quittera, il faut donc qu’il perde. Et voilà cette amoureuse qui contrecarre son amant, pour l’avoir ; elle défait tout ce qu’il fait, oppose intrigue à intrigue ; elle s’assure de sa fidélité en faisant obstacle à son ambition. Cela est charmant.

En résumé, le sujet historique se réalise chez Corneille en tragédie politique. Rares sont les pièces où la politique ne fournit pas le principe et le cadre de l’action. Parfois, comme dans Pompée, elle fait l’unité ; ailleurs, comme dans Sertorius, elle fournit le ressort. Et enfin, elle est à la fois un instrument de vérité locale et un moyen de vérité générale dans l’œuvre : car, d’une part, l’histoire s’anime d’une vie, non pittoresque si l’on veut, mais mécanique et abstraite, quand on voit ce jeu compliqué d’intrigues, ces actions et réactions qui s’opposent et s’amènent si exactement ; il semble que les dessous de l’histoire soient éclairés, et que, l’enveloppe ôtée, nous apercevions la chaîne même des causes. Le passé revit en s’expliquant : les faits sont bien ce qu’on imagine ; peu d’amour, un peu plus de sentiment, beaucoup d’amour-propre, et surtout des intérêts, c’est bien ainsi que les affaires du monde ont dû se traiter. Et, d’autre part, cette poli-