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CORNEILLE.

Qu’importe de mon cœur, si je sais mon devoir ?

(Aristie, dans Sertorius.)

… Je suis fort peu de chose,
Mais enfin de mon cœur moi-même je dispose.

(Dircé, dans Œdipe.)

Mais je sais ne vouloir que ce qui m’est possible,
Quand je ne puis ce que je veux.

(Aglatide, dans Agésilas.)

Un roi né pour l’éclat des grandes actions
Dompte jusqu’à ses passions,
Et ne se croit point roi, s’il ne fait sur lui-même
Le plus illustre essai de son pouvoir suprême.

(Agésilas.)

Ce misérable Œdipe, où Corneille a surabondamment prouvé combien toute la poésie tragique des Grecs échappait à son intelligence, n’est qu’une protestation de la volonté contre la fatalité. Thésée nie la prédestination, la nécessité fatale du crime et du vice, affirme la souveraineté du libre arbitre.

Quoi ? la nécessité des vertus et des vices
D’un astre impérieux doit suivre les caprices ?…
L’âme est donc toute esclave : une loi souveraine
Vers le bien ou le mal incessamment l’entraîne :
Et nous ne recevons ni crainte ni désir
De cette liberté qui n’a rien à choisir,
Attachés sans relâche à cet ordre sublime,
Vertueux sans mérite, et vicieux sans crime….
De toute la vertu sur la terre épandue,
Tout le prix à ces dieux, toute la gloire est due.
Ils agissent en nous quand nous pensons agir ;
Alors qu’on délibère on ne fait qu’obéir ;
Et notre volonté n’aime, hait, cherche, évite,
Que suivant que d’en haut leur bras la précipite.
D’un tel aveuglement daignez me dispenser.
Le ciel juste à punir, juste à récompenser,
Pour rendre aux actions leur peine ou leur salaire.
Doit nous offrir son aide, et puis nous laisser faire.

(Œdipe, III, 5.)