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CORNEILLE ET DESCARTES

Moi moi ! que je revoie un si puissant vainqueur !…
Je sens déjà mon cœur qui pour lui s’intéresse !…
— Ta vertu m’est connue. — Elle vaincra sans doute.
Ce n’est pas le succès que mon âme redoute.
Je crains ce dur combat et ces troubles puissants,
Que fait déjà chez moi la révolte des sens.

(Acte I, sc. iv.)

Aussi abrège-t-elle ensuite son entretien avec Sévère, non qu’elle ait peur de manquer à son devoir, ni qu’elle soupçonne son mari de craindre ou son amant d’espérer une défaillance de sa vertu mais elle veut toujours assurer son repos, en éloignant l’objet dont la présence excite la révolte de ses sens.

Nous trouvons encore un pareil mécanisme dans Chimène : elle n’étouffe pas son amour pour Rodrigue, et le voulût-elle, elle ne pourrait ; mais elle ne laisse passer aucun acte qui décèle cet amour. L’adresse du roi, au troisième acte, consiste à surprendre sa volonté si soudainement, qu’elle n’ait pas le temps d’arrêter la violente expansion de ses émotions intimes. De là la fausse nouvelle de la mort de Rodrigue, et cette pâmoison, que Chimène détrompée essaie de reprendre comme elle peut. On peut même encore trouver dans les articles 41 et 45 cités plus haut la raison logique de ce qu’il y a d’étalage un peu emphatique et surabondant dans la douleur de Chimène. Son amour est si fort qu’elle a besoin d’exciter sans cesse en elle la représentation de son père mort, de ses plaies, de son sang, de tous les objets sensibles qui sont joints à l’idée de son devoir c’est un moyen, comme on dit, de se fouetter, de produire en soi de la force pour l’action obligatoire et voulue.

Art. 48. — Or c’est par le succès de ces combats que chacun peut connaître la force ou la faiblesse de son âme ; car ceux