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HOMMES ET LIVRES

n’y a donc pas eu influence de l’un sur l’autre, mais communauté d’inspiration.

Le philosophe et le poète tragique ont travaillé tous les deux sur le même modèle : l’homme tel que la société française le présentait communément au début du xviie siècle. Une réalité qui, en eux-mêmes et hors d’eux-mêmes, commandait à leurs conceptions, rend seule compte de l’étonnante identité qu’on y remarque. Et cette réalité n’est pas bien difficile à trouver. La race que les désordres et les périls du xvie siècle ont formée, est une race robuste, intelligente, active : elle a des sens brutaux, l’esprit vif, souple, lucide, pratique, la volonté saine et intacte. Entre les appétits des sens et les idées de l’esprit, elle ne laisse aucune place aux pures émotions du cœur, aux molles rêveries de l’imagination ; elle vit de la vie physique et de la vie intellectuelle, avec intensité point du tout de la vie sentimentale. Elle estime par-dessus tout la netteté des jugements, la promptitude des décisions ; elle met son idéal à tenir toujours toutes les forces de son corps et de son âme à commandement. Voulons-nous voir ce type réalisé dans quelques individus ? Regardons Richelieu, Retz, Turenne. Le remarquable livre de M. Hanotaux met bien en lumière cette domination de l’intelligence et de la volonté dans Richelieu.

Et voici, je crois, l’importante conclusion qu’on peut tirer des textes que nous venons d’étudier. Il faut nous garder des affirmations absolues et téméraires, quand la vérité psychologique dès caractères dessinés par un auteur ne nous apparaît pas, quand, ils choquent notre conception familière. À chaque époque, la littérature fait prévaloir un type, conforme au goût à l’état moral et physique du public qui est