Page:Laplace - Œuvres complètes, Gauthier-Villars, 1878, tome 7.djvu/137

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suis loin de vouloir ébranler la religion. La sagesse nous prescrit de maintenir les institutions et les cérémonies de nos ancêtres touchant le culte des dieux. D’ailleurs, la beauté de l’univers et l’ordre des choses célestes nous forcent à reconnaître quelque nature supérieure qui doit être remarquée et admirée du genre humain. Mais, autant il convient de propager la religion qui est jointe à la connaissance de la nature, autant il faut travaillera extirper la superstition. Car elle vous tourmente, vous presse et vous poursuit sans cesse en tous lieux. Si vous consultez un devin ou un présage, si vous immolez une victime, si vous regardez le vol d’un oiseau, si vous rencontrez un chaldéen ou un aruspice, s’il éclaire, s’il tonne, si la foudre tombe, enfin s’il naît ou se manifeste une espèce de prodige, toutes choses dont souvent quel qu’une doit arriver, alors la superstition qui vous domine ne vous laisse point de repos. Le sommeil même, ce refuge des mortels dans leurs peines et dans leurs travaux, devient par elle un nouveau sujet d’inquiétudes et de frayeurs. »

Tous ces préjugés et les frayeurs qu’ils inspirent tiennent à des causes physiologiques qui continuent quelquefois d’agir fortement, après que la raison nous a désabusés. Mais la répétition d’actes contraires à ces préjugés peut toujours les détruire. C’est ce que nous allons établir par les considérations suivantes.

Aux limites de la Physiologie visible commence une autre Physiologie dont les phénomènes, beaucoup plus variés que ceux de la première, sont, comme eux, assujettis à des lois qu’il est très important de connaître. Cette Physiologie, que nous désignerons sous le nom de Psychologie, est sans doute une continuation de la Physiologie visible. Les nerfs, dont les filaments se perdent dans la substance médullaire du cerveau, y propagent les impressions qu’ils reçoivent des objets extérieurs, et ils y laissent des impressions permanentes qui modifient d’une manière inconnue le sensorium ou siège de la pensée. Les sens extérieurs ne peuvent rien apprendre sur la nature de ces modifications étonnantes par leur infinie variété et par la distinction et l’ordre qu’elles conservent dans le petit espace qui les renferme, modifications